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[À ROLAND, À LYON[1].]
Samedi soir, 1er décembre 1787, — [du Clos].

J’attendais notre commissionnaire comme le Messie ; j’ai bien savouré ton in-folio, et c’est ton observation seule qui m’a fait regarder le format, car j’aurais juré qu’il était plus petit. Quel plaisir de se rencontrer dans ses idées comme dans ses sentiments et de n’avoir jamais de projet que l’autre n’ait déjà médité de son côté ! J’en étais, avec la petite depuis vingt-quatre heures, à l’expédient que tu m’indiques ; j’avais relu le plan de Julie et je trouvais que nous nous en étions trop écartés. Entraînés par les circonstances, dominés par le besoin, nous nous occupons trop ou pas assez de notre enfant. Extrêmement occupés, et dans un genre qui veut de la tranquillité, nous exigeons de lui du travail et des leçons sans nous donner le temps de lui en faire prendre le goût ou de choisir les moments où il est le mieux disposé ; puis, s’il arrive quelque crise, nous voulons le silence et nous employons tout pour l’obtenir, parce que sans lui nous ne pouvons suivre nos travaux. « Ce qui nourrit les criailleries des enfants, dit Julie, c’est l’attention qu’on y fait soit pour leur céder, soit pour les contrarier. Il ne leur faut quelquefois, pour pleurer tout un jour, que s’apercevoir qu’on ne veut pas qu’ils pleurent. Qu’on les flatte ou qu’on les menace, les moyens qu’on prend pour les faire taire sont tous pernicieux et presque toujours sans effet. Tant qu’on s’occupe de leurs pleurs, c’est une raison pour eux de les continuer ; mais ils s’en corrigent bientôt quand ils voient qu’on n’y prend pas garde ; car, grands et petits, nul n’aime à prendre une peine inutile. »

Voilà, mon bon ami, sur quoi nous n’avons pas la conscience bien

  1. Ms. 6239, fol. 219-220. — Le ms. porte « 1er ou 2 décembre ». C’est le 1er, qui était un samedi. — Madame Roland devait encore rester au Clos quatre semaines.