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Fais mille amitiés pour moi au brave Corléac[1], dont tu ne m’as encore rien dit ; ajoute-lui que son coffret, que j’ai toujours sous les yeux, me rappelle sans cesse la querelle que nous lui devons pour n’être pas venu nous voir.

Ci-joint une lettre du chantre pour le Doyen[2] et des embrassements fraternels pour toi.

Mon Voyage te paraît-il donc si mauvais qu’il ne vaille pas d’être retouché ? En vérité, tu es bien à plaindre d’être si bête, et tu as bonne grâce à t’en donner de la tête contre les murs ! Pauvre petit !

Conte-moi donc toujours tes histoires d’Académie et autres, M. de Nervo, qui était hier ici et à qui je lisais ce qu’un homme d’esprit nous avait écrit de la belle amie, me demandait de tes nouvelles, et, sur ce que je répondais que tu étais à Lyon et que tu la voyais aussi souvent que tes affaires te le permettaient, il s’écria, de cet air moitié fin : « Je ne veux pas être méchant, mais… — Oh ! vous avez raison, interrompis-je avec vivacité et gaieté, car vous le seriez en pure perte. » Il voulait bien répondre, mais il s’en tira par un sourire, faute de mieux. J’étais en train de plaisanter, et les fariboles du conteur, comme les hyperboles d’habitude, n’auraient pas eu beau jeu. Aussi fut-il comme il est quand il sent que ses exagérations ne feraient pas fortune.

Adieu, mon cher et tendre ami ; adieu, ménage-toi, conserve-toi, songe à moi ; tu verras Morel sans doute ; je suis fâchée que tu n’aies pas pris ton manteau ; le temps le requiert et ta redingote à l’air misérable.

Adieu, je ne puis te quitter ; nais ta fille crie la faim et je veux la faire chanter : n’est-ce pas bien prendre son temps ? Je t’embrasse de tout mon cœur ; ce n’est pas assez dire, mais quoi donc ? Viens-y voir. Adieu.

  1. Corléac, — inconnu.
  2. Du chanoine-chantre Dominique Roland pour son doyen Dessertines, qui devait être alors à Lyon, où il était associé de l’Académie et fort répandu dans les sociétés littéraires.