Bonsoir, mon cher ami, puisses-tu avoir beau temps, bon gîte, jours agréables et nuits paisibles ! Je t’embrasse de tout moi-même.
Je joins une lettre du pauvre p.[1], qui me fait pitié et que tu pourras peut-être servir à Paris.
Je n’ai que le moment de vous prier de faire remettre très sûrement la ci-jointe à Luneau[3], dont je ne sais pas mieux l’adresse que celui qui lui écrit et à qui j’ai promis dé faire parvenir sa lettre, imaginant que votre complaisance en assurerait le moyen.
Je suis pressée et fatiguée ; depuis hier, je ne fais que remuer du linge, et j’en suis ennuyée autant que lasse.
Vous aurez vu mon tourtereau quand vous recevrez la présente ; si vous ne m’en donnez pas de nouvelles, je vous renie à tout jamais. Notez que je vous écris sur un tas d’arrêts qui me vient presque au menton.
Dîtes à mon ami que je ne rêve qu’à lui, mais que j’ai beau travailler comme un diable, les chiennes d’affaires de ménage ne permettent point que ses notes finissent subito. Je compte partir demain, Dieu aidant, ou plutôt le soleil, le cheval et l’âne. Eudora se porte à merveille, soupe quelquefois au pain sec pour ses petites impertinences et commence bien le rôle des filles de faire enrager leur mère ; de ma-
- ↑ Son père.
- ↑ Collection Alfred Morrison, 2 fol. — Madame Roland avait mis « mercredi 9 ou 10 mai ». Mais le 10 mai correspond bien au mercredi, et l’on voit d’ailleurs, par la lettre suivante, que celle-ci est en effet du 10.
- ↑ Luneau de Boisjermain (1732-1802), connu surtout par son édition de Racine et par son long procès contre les libraires (1769-1778). Il avait fondé à cette époque un Bureau de correspondance, « destiné à procurer aux amateurs tous les articles de la librairie, aux prix de Paris » (Biogr. Rabbe). On voit par cette lettre et par la suivante qu’il servait aussi d’intermédiaire entre les auteurs de province et les imprimeurs.