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Je dois aller, la semaine prochaine, à la campagne avec ma pauvre Eudora, toujours maigre, encore faible et revenant cependant en pleine convalescence. Je compte passer au Clos tout le temps de mon veuvage ; c’est au milieu des champs et par le grand spectacle de la nature que je supporterai l’absence de celui qui me les rend plus touchants. Vous, habitant d’une grande ville, vous, avec tant d’autres, trouvez peut-être ces idées et ces sentiments bien villageois ou bons pour les livres seulement : ils ne sont pas moins étranges dans nos petites villes de province que dans votre capitale ; je crois que la corruption est encore plus grande dans les premières, les petites passions y fermentent sans cesse et y produisent leurs funestes effets sans aucune compensation. Le seul avantage d’une petite ville sur une grande, c’est qu’on en sort plus vite, et qu’on peut être chaque jour dans les champs. Adieu, midi sonne, tandis que je moralise ; notre mère gronde et veut manger ; les domestiques se hâtent, l’enfant crie ; il faut se mettre à table, que l’appétit le veuille ou non.

Adieu ; j’ai hâte d’apprendre que vous et l’ami vous êtes embrassés ; sachez d’avance que je m’y joins.


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[À ROLAND, À LONGPONT[1].]
Jeudi soir, 4 mai 1786, — [de Villefranche].

Quel tourment que de voir la pluie, de craindre qu’elle n’incommode ce qu’on aime, et de ne pouvoir ni arrêter l’une, ni abriter l’autre !

Je suis dans un malaise incroyable depuis dîner ; cette pluie me fatigue plus que si je la recevais, et j’ai hâte d’avoir des nouvelles de ton voyage. J’ai reçu aujourd’hui la lettre ci-jointe ; j’en ai fait un extrait que j’enverrai demain à Chaix pour son instruction ou ses menus plaisirs. Tu vois combien cet homme faible[2] est minutieux et tracassier ; il n’a pas la force de supporter toutes les vérités, il faut les lui adoucir comme les médecines aux enfants. Ne l’effarouche pas, cause beaucoup

  1. Ms. 6239, fol. 160-161.
  2. Ceci ne s’applique pas à Chaix, qui était manufacturier à Lyon, mais à l’auteur de la lettre, c’est-à-dire à l’Intendant du commerce, M. de Montaran. — Voir les deux lettres suivantes.