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attendant la réalité. Pour te tout rendre, il faut rappeler l’état de mon frère, arrivant du Clos mal à l’aise, inquiet lui-même de sa santé, qui parut cependant aller mieux le dimanche comme je te l’écrivais ; mais, le soir même, il prit le frisson ainsi qu’il l’avait eu les jours précédents, il se sentit plus brisé, eut la nuit très mauvaise ; il ne voulut voir personne le lundi, prit d’un élixir dans lequel il a confiance et garda forcément le coin de son feu. Je lui tins fidèle compagnie (notre mère allait en ville) ; nous y causâmes beaucoup et, tout naturellement, la conversation tomba sur les affaires ; je ne lui cachai point ce que tu m’avais dit de ses caves et tes réflexions à ce sujet ; réflexions dont tu étais trop affecté pour ne pas lui en faire part à lui-même, etc. La fièvre, dont il se ressentait toujours un peu, redoubla le soir ; je n’ai vu personne qui se frappe autant que lui ; il se persuada que c’était le commencement d’une fièvre putride, qui ne pourrait être très longue, que sa bile était très décomposée et ne pourrait produire qu’une maladie violente (il faut observer qu’il avait toujours un peu de diarrhée). Il ne dormit point, trembla et sua alternativement. Bussy est malade, hors d’état de faire ses visites ; mon frère ne se souciait encore de personne et fit seulement venir Mme de La Chasse[1], qui se moqua un peu de lui, et ne vit dans tout cela qu’une fièvre d’humeur que la nature rejetait d’elle-même et qu’un peu d’aide purgerait entièrement. Nous continuâmes donc nos petits soins, les lavements, la diète, la tisane, et véritablement le frisson n’est pas revenu hier au soir. Cependant il y a toujours tant soit peu de fièvre et de relâchement ; mais, quoiqu’il n’ait point dormi cette nuit, il a été beaucoup plus tranquille. J’étais près de lui hier, lorsqu’on m’apporta ton paquet ; je l’ouvris, et, après avoir lu ma lettre (a parte comme de raison), je lui donnai celle qui le concernait, en lui disant : « Gardez cela pour un moment où vous serez bien tranquille, je présume qu’il y est question de vos caves. »

  1. Madame de Lachasse, religieuse, pharmacienne de l’Hôpital général, dont le chanoine était directeur spirituel (Alm. de Lyon, 1785).