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[À BOSC, À PARIS[1].]
20 avril [1785, — de Villefranche].

Je suis beaucoup plus tranquille sur le compte d’Eudora ; et, sans oser me flatter qu’elle échappe absolument aux maladies régnantes, j’espère que, dans le cas où elle les prendrait, elle s’en tirerait heureusement : on voudrait lui donner encore une purgation ; je désirerais la lui sauver, et nous temporisons. Le pauvre enfant est bien changé ! Vous ne sauriez vous représenter mes regrets de voir un petit être si tendre déjà livré aux dégoûts, aux secousses des remèdes. Il semble que la médecine ne devrait être faite que pour adoucir les infirmités de la vieillesse ou les crises violentes que produisent nos excès physiques ou moraux ; mais que l’aimable enfance se trouve avoir besoin de cet art mensonger, c’est un renversement de tout ordre et un véritable sujet de gémir. Heureux encore ceux qui, dans pareille circonstance, trouvent des motifs de confiance dans un homme habile ! Il n’y a pas ici un seul médecin sur qui j’ose compter. J’en ai pourtant appelé un, et je me suis fait une belle querelle avec un autre on est si tremblant pour ce qu’on aime, qu’on cherche toujours des avis, sans oser suivre le sien propre.

Mais retournons aux Académies, dont vous nous avez donné des nouvelles amusantes. Mon bon ami voudrait bien en savoir plus long de ce mémoire de Quatremère sur les moutons[2], ou plutôt de celui de Berthollet sur la théorie du blanchissage[3] ; Je me rappelle que c’est de ce dernier qu’il me chargeait, avant de partir, de vous parler, pour que vous lui en communiquassiez ce que vous pourriez savoir et vous procurer. Il prétend aussi que vous ne lui avez rien dit sur les graines huileuses et farineuses, sinon que vous n’entrevoyiez pas à

  1. Bosc, IV, 86 ; Dauban, II, 525.
  2. Voir, aux Mémoires secrets, 6 avril 1785, le compte rendu d’une séance de l’Académie des sciences, où Quatremère d’Isjonval avait lu un mémoire sur « les bêtes à laine ». — Cf., sur ce savant, la lettre du 31 mars 1784, et les Mémoires secrets, 21 avril 1784 et 22 août 1785. — Après avoir sacrifié un million dit-ont, à ces expériences, il fit faillite en 1785.
  3. L’illustre Bertholet (1748-1822) était déjà connu par divers travaux, membre de l’Académie des sciences depuis 1780 et directeur des Gobelins depuis 1784. Il venait de faire connaître le procédée pour blanchir les toiles par le chlore.