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charmantes quelles puissent être, il faut vous assurer que l’ami répondra dans peu à l’Académie[1] où vous venez de lui servir d’introducteur : en même temps qu’il vous fera passer ces lettres, il vous indiquera où vous pourrez prendre des exemplaires de ses ouvrages pour les adresser à cette compagnie[2]. En vous chargeant d’une commission, j’ai oublié de vous parler d’argent pour la faire ; il part d’ici, ces jours-ci, une personne qui vous remboursera pour moi vos avances. Autre chose, très intéressante assurément : vous m’avez fait faire la connaissance de M. Broussonnet, et je me rappelle parfaitement ce que vous m’avez dit et ce que j’ai vu de son savoir modeste, de son honnêteté, de cette aménité qui caractérise si bien ceux dont les connaissances adoucissent les mœurs ; je n’oublie pas non plus que vous m’avez fait espérer que nous pourrions avoir de lui des lettres pour l’Angleterre. Je réclame à cet égard les soins de votre amitié ; c’est d’elle dont je m’appuie près de M. Broussonnet, aux yeux duquel je ne puis avoir particulièrement aucun titre. Au reste, je demande ces lettres avec une confiance que je n’eusse pas osé prendre si j’avais dû faire le voyage avec notre compagnie, mais sans M. Roland ; car, dans ce cas, j’aurais bien senti qu’à commencer par moi, personne de notre société n’eût été éminemment propre à cultiver les savantes relations que M. Broussonnet peut nous donner. On peut se flatter de faire trouver quelquefois, dans une relation continuée, la douceur et le goût qui peuvent tenir lieu du savoir auprès des savants mêmes ; mais, quand on ne voit ceux-ci qu’en passant, il faut pouvoir les payer de leur monnaie. Or donc, vous connaissez notre caution ; je n’ai rien de plus à vous dire, sinon que je vous prie de me rappeler à votre ami en lui disant pour moi mille choses honnêtes. Nous faisons nos dispositions très prochaines ; le temps fuit comme un voleur, celui de fuir aussi pour notre compte nous touche aux épaules ; mille arrangements nous pressent, et, quoique au milieu de ma maison, de ma petite famille, je ne fais qu’une halte : je suis comme un chasseur au rendez-vous. J’acquitte ma charge et votre commission : le baiser de moi se donne doucement sur les lèvres, lieu réservé à l’ami du cœur ; je donne le vôtre où je l’aurais reçu, sur les deux joues, mais bien affectueusement ; le sentiment accompagne tous les deux, voilà la ressemblance ; le vôtre a la vivacité de l’amitié empressée, le mien la douceur pénétrante d’une

  1. L’Académie des sciences de Turin. — Voir Appendice B.
  2. Voir ms. 6243, fol. 118, les lettres de remerciements de Roland, du 10 juin 1784, à M. de Saluces, secrétaire perpétuel de l’Académie de Turin, et au chevalier de Lamanon, ami de Bosc, qui avait été son introducteur.