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qu’il y a de vrai, c’est qu’en voyant ce vieillard, car il put déjà prier ce nom, avec son air ordinairement refrogné[1], me dire cela d’un ton de sentiment, je n’ai point éprouvé ce je ne sais quoi de flatteur d’un compliment qui chatouille, mais une douce émotion qui m’a humecté les yeux. Je lui ai dit, à peu près, que le meilleur usage que je croyais pouvoir faire des avantages que m’accordait sa bienveillance était de lui rappeler quelquefois ce que tu méritais. Je crois, par ma foi, que ses yeux n’étaient pas non plus trop secs, deux ou trois Adieu, Madame, avec des souhaits de bonheur, ont terminé la conférence. D’après cela, je ne crois plus devoir remuer ni pieds ni pattes, solliciter personne, mais lui laisser tout avec confiance : autrement il aurait sujet de s’offenser. Aussi je me suis hâtée de le prévenir qu’avant de l’avoir vu j’avais écrit pour cela à M. de Vin. C’est moi qui arrangerai cela au premier Comité fut sa réponse.

Tu es remplacé à Amiens pr M. Villard ; ainsi les instructions seront plus faciles à donner. Ce n’est pas le moment de parler de congé, autres affaires, etc. Il faut laisser tout asseoir, puis aller prudemment. Tu seras obligé d’écrire à tous : fais-le, comme l’autre fois, bonnement ; mets quelque chose de particulier qui peigne plus de reconnaissance à l’ours apprivoisé : il pourra nous servir beaucoup en tout temps, car il est chaud, et c’est lui qui est chargé des arrangements des fonds, des deniers ; mets de l’honnéteté, un peu d’empressement à M. de Vin : te voilà sous lui ; cest un homme à peu près nul, aisé sûrement à blesser, comme sont les gens en place qui ont peu d’esprit ; il est tout neuf, il a pur de mal faire, il a peu de connaissances, n’est pas, je crois, capble d’en acquérir beaucoup, et se fera un mérite de vouloir tout ce que voudront ses confrères. Donne-lui beaucoup d’instructions avec beaucoup d’égards, il sera tout à toi. Hier, en entrant chez lui, un personnage qui sortait quand on m’a annoncée me fit de grandes salutations très révérencieuses, avec l’air de vouloir me parler ; j’imaginai qu’il me prenait pour une autre, car de ma vie je n’ai vu cette figure.

  1. Tolozan devait avoir 62 ans en 1784. — Voir Appendice F.