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ma demande ; je m’explique : mais cet homme est un de ces profonds politiques à cœur d’acier, et dont le front glacial ne s’est jamais ouvert au visage d’une femme ; il s’est étonné que je cherchasse d’autre voie que celle de M. Blondel, dont il m’a vanté l’esprit, le mérite, etc., qu’il ma dit être ami du contrôleur général, et il a terminé par observer que, si Mme de Candie voulait solliciter la recommandation de Madame Adélaïde, il fallait que cette recommandation fût adressée à M. Blondel, etc… J’étranglais, j’enrage encore ; je l’aurais dévisagé ; j’ai fait la meilleure contenance que j’ai pu, je me suis tirée d’affaire de mon mieux, et j’ai bien promis de ne jamais revoir cette figure. J’ai écrit une vraie lettre de cour à Mme de Candie, où je m’applaudis beaucoup de la sagacité de son ami, qui m’a éclairée sur la route que je devais tenir et d’après les avis duquel je vais diriger mes plans ; quelques autres calembredaines de cette force, beaucoup d’honnêtetés et la supposition de mon départ subit pour Paris par d’autres raisons tout aussi vraies, c’est ainsi que j’ai terminé avec ma connaissance d’un jour, que je saurais pourtant reprendre dans une autre occasion.

J’ai été chez Mme d’Arbouville, non pour rien décider, mais pour faire ma cour et causer ; elle voit bien tout, avantages et inconvénients, et elle est trop délicate pour me pousser à courir ceux-ci ; mais elle agira de son mieux, j’en suis sûre, dès que nous, les intéressés, nous nous serons décidés d’en courir le sort. J’ai vu l’abbé ; beaucoup d’honnêtetés de cette excellente maison qui, en vérité, respire l’ordre, la vertu et ne sent point la cour, si ce n’est par la gravité du décorum qui fait un peu trop sentir l’étiquette et les degrés d’élévation.

J’ai été chez M. Faucon, bon homme, excellent à cultiver parce qu’il peut beaucoup et que c’est une tête ; mais cette tête chaude et étroite en même temps, en s’intéressant à moi, n’a jamais pu comprendre mon affaire : par ma foi, je crois qu’il avait trop dîné. Il veut absolument que cela se puisse par M. de Vergennes tout seul, parce que le secrétaire de ce ministre lui a dit merveilles de nos mémoires ; il veut me conduire demain chez ce secrétaire pour en causer : à la bonne heure ! C’est encore une connaissance d’accrochée.