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heure avec la marquise ; j’ai presque toujours péroré avec présence d’esprit et chaleur ; je lui ai lu lettres et résumé ; je lui ai laissé tout ce qu’il convenait qu’elle gardât pour se bien rappeler ce que j’ai dit et pour exposer le tout à son mari comme je le lui ai exposé à elle-même ; car, dans le cas que nous embrassions la poursuite, c’est M. d’Arbouville, déjà en quelques relations avec M. de Calonne, qui lui présentera l’affaire. Mais, comme l’observait très bien la marquise, il faut de la temporisation : une démarche brusquée pourrait nous exposer beaucoup. Les causes lui ont paru très claires, elle voit et juge nos gens sur ce que je lui ai peint, et dit que si le contrôleur général pouvait étudier tes mémoires comme elle les a étudiés, et donner à nos explications le temps et l’attention nécessaires, le succès serait immanquable. Mais c’est ce dont on ne peut guère se flatter, et nous avons conclu qu’il faudrait pénétrer avant tout ce que pense M. de. Calonne des Intendants du commerce et s’il a quelque système ou propension à un système sur l’administration du commerce : or cette affaire ne peut être celle de la marquise, mais c’est la mienne ; du reste, c’est à notre intérêt de balancer les avantages et les inconvénients, de prendre une résolution en conséquence et, si c’est celle d’agir, nous la trouverons prête. Mme  d’Arbouville ressemble assez, pour les traits, à Mme  Mentelle[1] ; mais c’est un autre caractère de physionomie ; elle est d’ailleurs plus grande et parait avoir environ trente-cinq ans ; une extrême honnêteté accompagne ses manières ; mais, malgré son accueil très poli, elle a je ne sais quelle austérité dans son air, que je crois tenir à la dévotion ; elle ne met pas de rouge et parait aimer la simplicité. Elle a du tact et s’énonce heureusement, mais elle a aussi un peu de timidité ; dans un instant où elle m’a répondu assez longuement, elle a beaucoup rougi et a fermé les yeux, ce qui m’a paru tout neuf et très remarquable pour une femme de la cour. Elle m’a dit des choses obligeantes, et nous nous sommes très bien quittées, quoique avec ce

  1. Première femme du géographe Mentelle. — Voir lettre du 23 novembre 1781 et Appendice S.