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disputer à la course une Sophie, ne retrouveriez-vous pas des jambes aussi bonnes que celles d’Émile ? Je ne regrette pas non plus l’herborisation que le mauvais temps nous a fait laisser pour nous écrire. Mais je souhaite que vous profitiez du beau jour que voici pour en faire une autre ; c’est, a mon avis, l’une des plus charmantes occupations que l’on puisse prendre ; l’activité de la jeunesse, la rêverie des âmes tendres, tout ce que la campagne inspire et fait goûter se développe et fait jouir en herborisant ; la gaieté folâtre et la douce mélancolie s’y repaissent également. Nous avons été hier parcourir les fossés de cette ville et nous y avons trouvé quelques plantes ; mais je suis encore si ignorante et j’ai si peu de temps pour me décrasser, le besoin de recourir aux livres qu’on ne peut porter, et que je n’ai guère le loisir de consulter au logis, revient si souvent, que j’en serais impatientée si le goût ne l’emportait sur les mécomptes.


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[À BOSC, À PARIS[1].]
[10] juin 1783. — de Sailly, près Corbie.

Je ne sais quel quantième de juin ; tout ce que je puis vous dire, c’est que l’on compte ici trois heures d’après-midi d’un lendemain de fêtes. J’ai vu mon bon ami le dimanche ; il m’a quittée hier au soir ; j’ai passé une très mauvaise nuit, et je me portais encore si mal ce matin, que je n’ai pu vous écrire, quoique j’en eusse formé le projet. Je ne vous donne point cette succession de choses comme causes et effets nécessaires, mais je vous la donne telle qu’elle est, tout bonnement. J’ai eu communication des lettres que vous avez écrites, parce que leur réception est au nombre de nos plaisirs, et que nous ne savons goûter aucun de ceux-ci sans le partager entre nous. Je ne vous offrirai rien en échange de vos nouvelles ; je ne me mêle pas des politiques ; je ne suis plus au courant de celles d’un autre genre, et je ne suis en état de parler que des chiens qui m’éveillent, des oiseaux qui me consolent de ne pas dormir, des

  1. Bosc. IV, 57 ; Dauban, II, 496. On voit par la lettre, que Madame Roland écrit le lendemain du lundi de la Pentecôte, donc le 10 juin 1783. — Sailly-le-Sec, sur l’Ancre (département de la Somme, canton de Bray et arrondissement de Péronne). Madame Roland était là chez Sophie Cannet, dont le mari, M. de Gomiecourt, était « seigneur de Sailly-le-Sec ». (Invent. de la Somme, B, 275.) — Voir Appendice E.