Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/298

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les attentions de toute espèce sont prodigués à ton épouse, et tu ne saurais te tromper en cela. Toi, mon ami, tu es seul, tu travailles : et cette image me préoccuperait jusqu’à m’attrister beaucoup, si tu ne devais bientôt revenir me trouver.

Je ne m’attendais pas non plus au silence du voisin, et, comme toi, je n’y trouve par réflexion rien d’étonnant ; mais je serai longtemps avant que les expériences de cette nature ne me paraissent nouvelles au premier abord. Le, compte des vingt-deux au logis fait le mien, au moyen des deux que j’ai retrouvés ici, parce qu’il ne m’en faut de cette espèce que trois douzaines et demie : ainsi la paix soit faite, mais veillons toujours, car j’apprends d’autre part qu’il est bon de ne pas s’endormir.

J’attendais des nouvelles de la famille, je suis véritablement en peine et les idées qui me surviennent à ce sujet m’ont plus d’une fois serré le cœur et baigné les yeux. Ma dernière nuit a été triste ; j’ai, pour la première fois de ma vie, rêvé les yeux ouverts et debout sur mes deux pieds ; j’ai vu du feu au milieu de la chambre, je me suis levée ; j’ai vu un chien, j’ai allumé une chandelle, j’ai appelé ; et de tout cela il n’était rien, que mes actions et mes idées ; mais j’étais, à part moi, si stupéfaite d’avoir été abusée, que j’ai douté qu’il y eût du phosphore dans la chambre : mais il n’en était rien non plus. Il n’aurait tenu qu’à moi de faire croire à Mlle  Senart, ou plutôt il ne tient pas à elle que je croie à la visite d’un revenant ; elle m’a dit bien gravement qu’il fallait prier pour les morts, en me demandant la date du décès de mon beau-frère[1] ; en vérité, c’est un mélange bizarre de grotesque et de pitoyable que ces misères de l’humanité.

Ce pauvre ami Lant[henas] m’afflige ; je lui écrirai, si j’en trouve l’instant, et j’insérerai ma lettre dans la présente afin que tu la lui expédies si tu lui écris sous peu, comme je le pense. On m’a parlé de lui aujourd’hui à table avec plaisir et intérêt. La nouvelle de Seguin[2]

  1. Laurent Roland, mort le 17 septembre 1782.
  2. Madame Roland, dans ses Mémoires (ii, 231), décrivant la société avec laquelle elle se rencontrait à Vincennes, lorsqu’elle allait y faire des séjours chez son oncle