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raux des troupes combinées de la France, de la Savoie et de Berne en ont agi lorsqu’ils ont pris possession de Genève.

Je ne sais vous en jugerez comme moi ; mais je trouve que ces pauvres Genevois se sont conduits on ne saurait plus mal : on dirait une troupe d’aveugles, livrée de son plein gré à quelques traîtres qui les ont vendus, et dont les manœuvres étaient assez évidentes. L impatience m’en a pris je ne sais combien de fois en la lisant, et le sang me bout dans les veines. Je plains du plus profond de mon âme ceux qui n’ont pas su distinguer le meilleur parti, malgré leurs excellentes intentions, ou plutôt qui n’avaient pas assez d’influence pour le faire prendre ; mais il me paraît clair que Genève, en général, n’était plus digne de la liberté ; on ne voit pas la moitié de l’énergie qu’il aurait fallu pour défendre un bien si cher ou mourir sous ses ruines. Je n’en ai que plus de haine pour les oppresseurs dont le voisinage avait corrompu cette république avant qu’ils vinssent la détruire.

Gosse me dit que l’ami que je lui ai connu a Paris est du parti aristocrate, et qu’il n’a pas voulu le voir depuis là perte de la liberté, crainte de quelques désagréments dans les dispositions différentes où ils sont l’un et l’autre. J’aurais parié cela ; c’est un M. Coladon[1], que j’appelais Céladon, qui n’est qu’un joli garçon dont la tournure mielleuse sentait l’esclave de plus d’une lieue, et dont j’aurais donné cent pour un boiteux de la trempe de Gosse.

    voyé cette lettre de Gosse, qu’elle en reçut une seconde, et elle l’envoya à Bosc le même jour (23 août 1782), avec un billet ainsi conçu (ms. 6244, fol. 297-298) :


    Le 23 août 1782.

    «Je reçois, avec la vôtre du 22, un seconde de M. Gosse. C’est une vraie relation, qui me paraît intéressante. Comme je ne veux pas l’envoyer, crainte qu’elle ne s’égare en route, et que pourtant je suis bien aise de vous la communiquer, je ne sais rien de mieux que de la copier en quelques traits de plume, tout courant. [Je vous dirai auparavant que les cousines sont Mmes d’Épinay, qui demeurent rue du Figuier, hôtel de Sens, près du pont Saint-Paul. Vous m’obligeriez de leur faire parvenir cette lettre sans délai. Ce sont de jeunes religieuses que la perte d’un procès pour lequel elles avaient fait le voyage a déjà peut-être fait quitter Paris.]* » — Suit cette seconde lettre de Gosse, qui est une relation de l’entrée de troupes coalisées de Berne, de la France et de la Savoie dans Genève, relation fort curieuse, mais que nous ne reproduisons pas ici, cette guerre de Genève étant hors de notre sujet.

    *. Les lignes entre crochets sont bâtonnées dans le manuscrit.

  1. Nous ne trouvons, ni dans la Correspondance que nous publions, ni dans la correspondance antérieure (Lettres Cannet, Recueil Join-Lambert), aucune mention de M. Coladon.