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trouve plus commode de les montrer exécutés que de les recommencer à cette intention. J’ai cru sans inconvénient de garder quelques jours de plus la pièce instructive.

Mais parlons un peu de la pièce de M. Brayer[1], car il faut justice en tout : on doit la rendre aux Béotiens comme à tout autre, sans considération particulière ni préjugé d’aucune espèce. Déterminé par ton invitation, et favorablement prévenu par elle, le Grec[2] s’en est allé jeudi à la comédie, en aussi bonne disposition que s’il eût été voir de l’Aristophane ou du Ménandre. On lui donna d’abord du Molière, et cela ne l’éloignait pas trop de ces fameux comiques, sans valoir beaucoup mieux, quant aux mœurs, que certains ouvrages de celui qui osait jouer Socrate. Vint humblement en scène le compatriote de Pindare[3], mais non tout à fait son émule ; il s’était mis en quatre (actes) pour faire de son mieux sans doute, et, si l’on doit louer l’envie de bien faire, il aura part aux éloges qu’on devrait au même titre à tant de gens qui vous impatientent en croyant vous amuser.

Richard, son héros, est celui de la comédie : personnage amphibie, maître de musique et laquais à la fois, à cause apparemment que les Béotiens croient les talents à gages. Richard devient amoureux de son écolière et de sa maîtresse : car Sara est l’une et l’autre, et c’est un coup de génie que de présenter les gens sous plusieurs rapports en même temps. Une femme de chambre jalouse instruit le père, qui vient interrompre la leçon en menaçant de coups de bâton le serviteur maître. C’en est assez pour un acte. Le second, qui arrive sans qu’on sache pourquoi, transporte les spectateurs noblement au cabaret. Un officier s’y trouve ; Sara, qu’une tante avait ravie au courroux de son père, y arrive ; l’officier cause précisément de Richard qu’il cherche. Sara s’évanouit ; if lui donna de l’eau de la reine de Hongrie ; puis cette jeune personne remonte en voiture avec sa conductrice. Il faut bien que Richard paraisse à son tour à la taverne ; l’officier le questionne et le reconnaît. On entend un coup de fusil, le brave militaire court au bruit ; il revient avec un milord qu’il a sauvé des mains des voleurs, et qui lui offre une bourse pour reconnaître son service : manière

    fol. 236-237, une lettre de Roland à Mlle Malortie, du 7 juillet 1782, où il dit : « La petite a fait deux dents… ».

  1. Nous n’avons pu trouver aucune indication sur M. Brayer.
  2. « Le Grec » et, un peu plus loin, « Thalès » désignent Roland. C’était son nom parmi ses amis de Rouen (voir lettre 11). Dans sa correspondance avec son frère le prieur de Cluny, pendant son voyage d’Italie, ils s’appellent l’un Thalès, l’autre Bias.
  3. C’est-à-dire le Béotien ou l’Amiénois.