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pousser, l’homme vertueux a fait assez pour sa propre gloire quand il a mérité de monter plus haut qu’il n’est placé : tant pis pour l’État qui ne sait pas l’employer, mais le bonheur du sage n’est pas dépendant des caprices d’une mauvaise administration. Cet exemple à laisser vaut bien autant, pour des enfants, qu’un titre ou des privilèges. Adieu, mon bon ami ; j’envisage avec joie le moment de ton retour ; j’ai hâte d’y être arrivée pour t’embrasser de tout mon cœur.


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[À ROLAND, À PARIS[1].]
9 février 1782. — d’Amiens.

Puisque tu vas quitter Paris, mon bon ami, et que tu y laisses nos bonnes petites cousines[2] si fort ennuyées, j’ai pensé qu’il ne serait pas mal de leur témoigner mon intérêt et ma sensibilité ; j’ai eu d’autant plus de facilité à suivre cette idée, que je la dois aux dispositions de mon cœur pour ces aimables filles. Cette marque d’amitié les touchera, j’en suis sûre, et mon babil les désennuyera pour un petit moment. Je pourrai leur envoyer parfois quelques épîtres dans l’espace de temps qu’elles vont être près de nous ; la voie des bureaux, par notre correspondant M. Lanthenas, pourra être employée pour elles, ainsi que pour d’autres. Voilà les motifs de la lettre que tu trouves ci-jointe et mes projets à cette occasion.

Parlons présentement de mes terreurs paniques auxquelles tu répondais par la lettre que j’ai reçue hier. Tu auras aussi vu par quelques-unes de mes précédentes que j’étais déjà redevenue un peu raisonnable ; ainsi n’en parlons plus, si ce n’est pour rire, puisque tu me promets qu’il n’y a pas de quoi pour rien de plus. J’attends tes histoires de Musées et autres ; tu fais bien d’en apporter ; je n’en fournirai pas de mon côté ; je n’en ai guère au coin de mon feu, et je te conte, à mesure

  1. Ms. 6238, fol. 219-220.
  2. Les cousines d’Épinay.