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très court et qu’il se réduirait à zéro si l’impayable mangeuse ne paraissait se contenir un peu pour en laisser. J’ai cru devoir lui observer que je voyais beaucoup augmenter la consommation depuis son arrivé ; que je ne voulais pas lui faire un reproche de son apétit, parce que j’espérais qu’elle n’était pas de ces gens à manger plus de bonne chère que de pain, parce qu’ils vivent aux dépens d’autrui. Elle a fort bien répondu qu’elle croyait ne pas mériter ce reproche, et qu’elle espérait aussi que je m’en persuaderais ; du reste, elle convient ingénument qu’elle mange beaucoup. Que faire ? ce n’est pas un crime ; mais la bourse en pâtit, et c’est quelque chose. La grande indolente que j’ai eue quelques jours mangeait aussi fort bien, mais elle baisserait pavillon devant celle-ci. Il suit de tout cela que j’ai un bon mais cher domestique. C’est une diablerie !

Je ne puis avoir le mémoire de L’Aposlole, ni le compte de Mme Turbet[1] ; ces gens-là me laissent à garder un argent dont je voudrais être débarrassée puisqu’il ne m’appartient plus.

Tu me donnes la commission de faire accommoder le jardin ; on dit qu’il faut aussi tailler la vigne, etc. Je ne veux pas me servir de ce vieux petit bonhomme qui ne finit rien ; je ne sais à qui m’adresser ; j’ai demandé à M. Flesselles de m’envoyer un bon manœuvre-jardinier qui employât bien son temps.

J’ai fait remettre à Mme Coquerel l’avertissement pour les vingtièmes, sur la confirmation qui m’a été faite par M. Flessolles de mon opinion, qu’ils regardaient les propriétaires.

M. de Bry [Bray] étant à Péronne, je n’ai pas envoyé chez lui la note des livres.

Il fait toujours un horrible temps ; la neige a paru aujourd’hui ; je ne mets le nez à l’air que le dimanche. Pour l’édification du prochain et le salut de mon âme, je vais à l’église du Collège[2] me geler les pieds, qui sont d’une extrême sensibilité au froid et à la dureté du pavé. On meurt ici comme les mouches ; je ne vais pas deux fois à ma

  1. Inventaire de la Somme, C. 598, 599 : « Turbet, marchand de bois ».
  2. Plus voisine de son logis que la pariosse Saint-Michel.