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sans altération de biens semblables ; autrement l’appétit est inégal et le lait va en proportion.

J’ai quelque souci de ma petite ; voici ce qui me le donne : elle prend le sein avec avidité, se gorge autant qu’il est possible, puis elle vomit ; non comme dans les premiers temps, sans efforts, ni apparence de souffrance ; mais elle crie, s’agite, porte ses doigts dans sa bouche comme pour en tirer ce qui la gêne ; son haleine exhale une odeur aigre et forte, moins ressemblante au lait aigri qu’à l’odeur d’un adulte qui aurait de l’indigestion ; l’agitation, les petits cris, tout le manège continue jusqu’à ce que, ayant bien rendu, elle crie plus fort en cherchant de nouveau à téter ; la scène recommence ainsi, tant que le sommeil la prenne au sein et ne soit pas interrompu par le transport de l’enfant au berceau : ce qui arrive volontiers la nuit et le matin ; mais l’après-midi et le soir, il dort peu ou point, et ne fait que prendre, crier et vomir. J’ai voulu éviter de lui donner le sein aussi souvent qu’il, parait le demander, croyant qu’il en prenait trop ; c’est bien pis. Dès que son désir se manifeste, il entre dans un état violent et terrible si l’on tarde à le satisfaire. Il n’y a plus de lait étranger ni d’eau d’orge ; seulement une soupe tous les soirs avant de le coucher. Habitant ma chambre continuellement, j’y garde l’enfant pour ne pas multiplier les feux. J’espère, au reste, qu’à mesure qu’il se fortifiera, le temps de son repos deviendra plus long ; il y a déjà des différences du commencement, et j’ai gagné les matinées.

Je suis fort contente de la bonne ; sa douceur et son assiduité se soutiennent également ; elle s’attache et parait agir avec un vrai zêle. J’ai pour cuisinière une fille propre, honnête, entendue, qui, je crois, aime un peu ses aises ; elle est de grand appétit et vaut deux Marguerite pour la consommation. J’ai su de M. Devins une petite histoire que son séjour à Paris m’avait fait soupçonner ; cette fille a servi chez l’abbé de Modène, puis chez M. Froment[1] qui en était très content

  1. Louis-Firmin Froment, président-trésorier de France en la généralité d’Amiens (1767-1790). — Voir Alm. de Picardie de 1783, p. 43. — Cf. A. Louvencourt, Les présidents-Trésoriers de France de la généralité d’Amiens, 1896.