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Rouen, Vincennes, etc. Ton silence sur elles a renouvelé mes craintes des tours de M. Tolz. [Tolozan]. Le chocolat que tu m’as envoyé est excellent, j’en ai pris avec sensualité.

J’attends de tes nouvelles comme mon plus grand régal ; adieu, mon bon ami, salut et joie, ainsi qu’au fidèle Achate.


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[À ROLAND, À PARIS[1].]
Vendredi au soir, 18 janvier 1781, — [d’Amiens.]

Je présumais ton avis, mon bon ami, et j’agissais déjà en conséquence, poussée par de nouvelles réflexions qui s’accordent avec les tiennes. Je ne prévois pas tout, mais du moins je commence à me douter de cela même, et c’est déjà quelque chose[2]. J’ai fait venir une fille dont on m’a dit du bien ; elle est de cette ville, appartient à une honnête famille dans son genre ; elle sert depuis dix ans et en a environ trente ; demain elle viendra savoir ma résolution, car elle avait accepté mes conditions, mais je ne l’avais pas arrêtée. Son extérieur ne me plaît pas extrêmement, je crois que je deviens difficile, et pourtant l’indice ne me paraît point suffisant pour me faire rejeter le sujet d’après ce que j’en apprends. Que sera-ce ? Le temps me rapprendra ; j’ai perdu aussi la foi sur cet article, et il me faut l’évidence.

Nos santés sont bonnes : mère et fille mangent comme des affamées de huit jours ; la petite ne quitte presque pas mon sein ; je ne pourrais croire à son appétit si je n’en avais un pareil, et je traiterais de caprice les cris d’un besoin inconcevable par sa continuité pour ceux qui ne le ressentent pas. Je n’ai pour t’écrire que le temps où je fais donner de la soupe à l’enfant. Je ne m’interromps pas encore la nuit ; on me

  1. Ms. 6238, fol. 198-199.
  2. Roland avait écrit à sa femme, le 15 janvier (ms. 6240, fol. 130) : « Je te conseille, et d’une manière très positive, de ne point prendre ta garde comme cuisinière… Ajoute, à ce que tu dis, la dépense : une femme accoutumée à faire ses volontés, à prendre son café, à vivre à sa manière, etc. »