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les plus difficiles de toutes à connaître, même dans sa méthode. Les descriptions de Lestiboudois sont sèches, maigres, ennuyeuses ; d’ailleurs, cet ouvrage ne donne aucune notion des systèmes de Tournefort et de Linné que l’on suit, soit l’un ou l’autre, dans les démonstrations ; je sais bien que ces systèmes ne sont pas la science, mais, comme c’est par eux qu’on enseigne celle-ci, un étudiant qui suivra les cours sans jamais avoir vu que son Lestiboudois ne saura comment se retrouver. Quelle différence de tout ces précepteurs au simple et sublime Jean-Jacques ! Sans adopter nul système, il fait suivre la nature et met à portée de choisir ensuite avec profit celui qui plaira davantage. Les idées qu’il donne sont distinctes, agréables ; il fait aimer la science ; c’est déjà l’avoir enseignée à moitié.

Je parie que le fils de M. de B[ray] lira tout au plus une vingtaine de pages qui présentent l’explication des parties des plantes, et que l’on trouve partout ailleurs ; il fera l’entendu près des femmes et des ignorants en parlant de corolle, d’étamines, de pétioles, de bractées, etc. ; il dormira sur le reste du livre, si même il s’avise de le feuilleter jusqu’au bout, et finira par ne rien apprendre de cela comme d’autre chose. Il faut avouer que, s’il y a des sujets qui ne savent jamais rien, c’est qu’aussi bien souvent on s’y prend mal pour leur montrer quelque chose.

Ce sera l’histoire des enfants de tous les pères qui, tels que ce bon M. de B[ray][1], trop occupés d’amasser beaucoup de bien à leur progéniture, ne se mettent pas en état de lui donner rien autre. Avec ses fiefs et ses revenus, le jeune de B[ray] ira à la chasse, gourmander les paysans, fera maussadement l’homme d’importance et mourra d’ennui toute sa vie, sans rien produire qu’une race de sots inutiles comme lui. Si j’étais atteinte de l’envie d’être riche, tous ces gens-là m’en guériraient par la peur de leur ressembler.

Tu as reçu, avec mes lettres pour Villefranche, celles pour Longpont,

  1. Le bon M. de Bray collectionnait les places. — Voir Inventaire de la Somme, C. 9. fol. 82, année 1779 : « Lettre de M. de Bray de Flesselles à l’Intendant, demandant les places de M. Duchaussoy, au cas où celui-ci viendrait à mourir. »