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sant métier de ne rien faire, a prétendu peindre et critiquer toutes nos belles et autres ; chacune aura son paquet ; sans doute, chacune croira reconnaître sa voisine dans le portrait qui peut-être aura été fait pour elle-même. Le principal personnage est une femme bel esprit débitant beaucoup de sottises. La première représentation est fixée au jeudi 17. Tous se récrient qu’il y aura du tumulte, par les huées, les sifflets qui ne peuvent manquer d’avoir lieu ; déjà on a arrêté qu’il y aurait au parterre deux sentinelles de plus que de coutume. On croit très fort, et toutes les femmes me paraissent devoir être ardentes à le répandre (j’entends celles qui ont peur), que cela ne vaudra rien ; que ledit sieur n’a jamais fait que de mauvais vers et de la prose qui n’est guère meilleure. On ajoute encore qu’il sera peut-être obligé de quitter la ville, et qu’aussi son paquet est déjà fait. Il faut qu’on prenne nos femmes pour des Bacchantes, et, si tout ce cancan n’est pas un tour d’adresse de l’auteur, je n’y vois que la bêtise de nos Béotiens de mettre tant d’importance à ce qu’ils assurent ne rien valoir.

Tu supposes à la visite du poétereau[1] des motifs singuliers ; je n’y vois trop rien. Sais-tu combien il est mal avec sa mère ? Elle ne peut le souffrir et ne sait même pas le cacher. Dernièrement, sortant de souper, je pense de chez M. Chamont, elle ne voulut jamais consentir que ce fils occupât une place vacante dans la voiture d’une femme qui la reconduisait et qui voulait se charger de toute la famille ; sa ridicule opposition a fait scène ; encore était-ce pour la première fois qu’elle lui avait permis de venir souper dans cette maison ou il avait été invité plusieurs [fois] avec elle et le Pourceaugnac. Celui-ci s’escrime comme les autres contre la pièce à jouer : « Une femme bel esprit ! disait-il hier. Il n’y a point de femme dans cette ville qui s’occupe de littérature ni de science ; ce portrait ne conviendra à personne. »

    et Forêts d’Amiens (Alm. de Picardie, 1782, p. 81 ; 1784, p. 50). Cf. Biographie des hommes célèbres de la Somme. ; — A. de Louvencourt, Les trésoriers de France de la généralité d’Amiens.

  1. Il semble ressortir de ce passage que « le poétereau », plusieurs fois mentionné dans les lettres de Madame Roland et de son mari, était un fils de M. Maugendre. — Voir d’ailleurs la page suivante.