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la chute d’une chaise ; j’avais compris d’abord qu’il n’en était résulté qu’une douleur, et je lui avais fait mettre de l’huile et du vin chauffés ensemble ; ce remède lui a bien fait, comme à toi l’eau de vie et sel, durant vingt-quatre heures, après lesquelles les douleurs sont devenues plus vives ; j’ai voulu voir le mal, j’ai aperçu un petit trou comme celui qui était à ta jambe, la dernière quinzaine de ton mal, et beaucoup d’inflammation autour ; j’ai fait laver soigneusement, puis j’ai appliqué un petit emplâtre de l’onguent qui t’a guéri. Ancelin ne s’y était pas assez bien pris pour toi pour que j’en attendisse mieux dans cette circonstance, et j’ai cru bien faire de m’y prendre ainsi. En cou-séquence de ce mal, on va clopinant, on ne se lève pas de bonne heure, on ne prend pas vite le train leste auquel je veux habituer, et je ne puis beaucoup dire. J’ai quelque peur que cette grande femelle n’ait un peu de cette espèce de lenteur assez ordinaire à celles de sa taille et de son encolure. Je ne saurais encore la bien juger.

Ma femme à tirer continue de venir deux fois le jour ; j’ai toujours du lait au bout des seins : il sort aisément, commence à prendre plus de couleur et de consistance sans être encore sucré, mais je ne le sens point encore monter, tant est petite la quantité que j’en fais. J’espère beaucoup néanmoins ; je n’éprouve pas de fatigue ; d’ailleurs je suis longtemps au lit et je m’en trouve bien, car le matin il y a toujours un peu de gonflement dans les mamelles, tandis que le soir elles n’ont souvent rien, surtout si j’ai un peu agi.

Je mange fort bien ; les trois petits pains, à peu près, disparaissent à nous deux ma fille, et je n’ai pas eu la moindre colique de toute cette semaine. Sois donc enfin, mon cher ami, tranquille et content ; fais en paix tes affaires, ne laisse rien en arrière ; ne reviens près de moi que pour goûter sans diversion les charmes de notre vie occupée. Si tu tardes un peu, peut-être me retrouveras-tu nourrice ; cette idée m’enchante, et je ne fais que me prêter à peine aux plaisirs qu’elle me promet. J’envoie aujourd’hui chez Bariri[1] pour avoir des bouteilles ; je

  1. Bariri. — Nous ne savons rien de ce marchand.