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qu’ils sont dans ma tête si je n’en avais pris un bien dodu. Passe encore, aux souris qui mangeaient nos confitures ; ces petites bêtes ont un air éveillé, propre et fripon qui ne me déplaît pas : mais les gros vilains rats me font peur ; ils peuvent faire beaucoup de dégât dans le linge s’ils en trouvent : je vais bien veiller à mon grenier.

À peine le jour a-t-il paru que j’ai regardé, pressé mes seins ; tous les deux ont donné des gouttes de lait que j’ai goûté ; il est encore léger, mais fort doux. Je viens de prendre mon café en l’honneur duquel je supprime la tasse de quinquina du matin. Je mangerai une soupe au lait avec des jaunes d’œufs ; j’ai grande hâte d’avoir mes graines ; je n’ai pu retrouver de lentilles, et j’ai besoin de farineux. Il faudra bien recommander à La France[1] qu’il prenne garde à ce qu’il n’y ait pas de pucerons ; on dit que tous les pois d’ici en sont infectés et que c’est très malsain.

Je n’ai pas mis les petites cuillers sur ma liste, bien persuadée que tu ne les oublierais pas.

Tu ne me dis pas un mot de ta santé, de l’Esculape, de ce qu’il te fait, de ce que tu en ressens ; ce silence me cause une impatience cruelle ; j’imagine à mon tour que tu n’as rien de bon à m’apprendre, ou que tu négliges des soins importants, autant que tu oublies de m’instruire de ce qui est à cet égard.

Je ne me familiarise pas avec l’idée du Longponien t’écrivant du ton que tu dis ; il faut qu’il y ait là-dessous quelque malentendu, cela me fâche vraiment. Il faut aussi que ce soit réel, pour t’empêcher d’aller le voir ; cette ombre de refroidissement m’afflige. Fondée sur quoi, à quel propos cette impertinence ? Je n’y vois goutte et n’y comprends pas davantage.

J’ai vu hier à la cave qu’il importait de faire tirer mon vin ; te tonneau est tout couvert de moisissure. Ma garde et mon médecin payés, j’aurai dépensé la moitié de mon mois ; deux cents bouteilles et deux cordes de bois à acheter avanceront bien l’autre moitié : resteront

  1. Nous n’avons pas trouvé, à l’Almanach de Paris que nous avons consulté (Lesclapart, 1785), le nom de ce marchand.