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LETTRES DE MADAME ROLAND.

Je suis plus contente de ma cuisinière ; elle a montré beaucoup d’ardeur à réparer la négligence de la veille ; on s’est entendu hier, et, après que j’ai été couchée, on a poussé le travail de la lessive, jusqu’à trois heures du matin ; de manière qu’on a pu profiter du vent d’aujourd’hui pour faire sécher beaucoup de choses.

J’ai rangé dans ton cabinet, visité la cave et le grenier ; j’ai serré dans la première du Rota[1] et du vin d’Espagne, j’ai trouvé certaine demi-bouteille, contenant une liqueur dont tu as oublié le nom, à demi vidée par la pourriture du bouchon ; j’en ai tiré ce qui restait dans deux fioles ; je croirais, à l’odeur et au goût, que c’est de l’eau-de-vie d’Andail[2] ; mais sa couleur est rougeâtre ; d’ailleurs sa qualité est altérée.

Je me suis interrompue ici pour me faire tirer ; le sein gauche particulièrement a fourni des gouttes de lait clair et faible, j’en ai fait sortir cinq ou six par le seul pressement de mes doigts ; toutes ces femmes ont parti d’un éclat de rire à l’exclamation enfantine de surprise et de plaisir qui m’est échappée lorsque je les ai vues sortir ; car j’avais et je témoignais toujours du doute de ce que ma téteuse me disait sentir dans sa bouche. J’ai de l’espérance qui contribuera encore à mon rétablissement par la gaieté qu’elle me donne.

J’ai envoyé un billet au relieur, je lui dis de m’apporter les exemplaires samedi en tel état qu’ils soient ; je trouverai à les faire brocher par un autre.

L’histoire de la bru[3] t’a donc amusé ? Tu aurais été indigné, comme moi, de l’histoire du lendemain. La petite fille est venue passer la matinée chez Mme  d’Eu où elle s’est répandue en invectives contre ces vieilles insolentes qui feraient bien de s’en aller à l’autre monde et à qui elle allait laver la tête.

J’ai dit à M. d’Eu et au Sigisbée (ils n’étaient pas ensemble), qui

  1. Rota, près Cadix.
  2. Hendaye.
  3. Nous ne sommes pas parvenu à démêler avec certitude qui est cette bru, qui, quelques lignes plus loin, est appelée Mme  de B. Il semble que ce soit une jeune dame de Bray, de la famille d’Alexandre-Nicolas de Bray.