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LETTRES DE MADAME ROLAND.

ce dernier ; j’ai appris qu’au sujet du cours d’expériences que L’Apostole se propose d’ouvrir à la fin de ce mois, M. de Bray lui avait dit qu’il avait un ami absent qui serait certainement charmé de suivre ces expériences, et qu’il désirerait pour cet ami que M. L’Apostole ne commençât pas avant son retour. J’ai trouvé cela un peu aventuré de la part de M. de Bray ; ce que pourtant je n’ai pas fait connaître au médecin, qui m’a dit tenir ce propos de L’Apostole ; j’ai paru seulement d’une parfaite ignorance sur cet article : ce qui était très vrai. M. Lanthenas n’ignore pas sans doute avec quelle adresse M. Sage profite de la découverte, faite par un chimiste allemand, d’un acide dans les végétaux dont les propriétés sont semblables à celles de son cher favori, l’acide phosphorique ? Il répète toutes les expériences du savant étranger, en fait de nouvelles sur les substances de tous les règnes, pour prouver sa grande thèse, l’universalité de cet acide, avec une ardeur incroyable. Mais ne me sied-il pas bien de mêler ma musique aux ergo de vos docteurs ? Passons donc à autre chose, ou plutôt revenons à ma santé, car je sens bien que tu n’es pas rassasié sur ce chapitre.

Eh bien, j’ai eu encore une nuit calme et délicieuse, un sommeil doux et restaurant ; quinquina, vin d’Espagne me font digérer parfaitement : je suis à la nourriture ordinaire, avec quelques précautions cependant. J’ai dîné avec des huîtres, de la soupe aux herbes et du mouton grillé, après avoir été cuit au pot ; modérément quant à la quantité, mais très bien au total. J’avais pris au déjeuner une bonne tasse de café, teinté de lait ; c’est le premier usage que je fasse de ce dernier et je m’en suis bien trouvée. Mon docteur me dit que le café est un amer qui me fera autant de bien que le quinquina, j’en suis très aise, je le prends avec volupté. Tu as grand’raison d’être indulgent sur l’article de la friandise, pour nous deux ta fille ; nous donnons, elle et moi, terriblement prise de ce côté-là.

Pauvre ami ! n’es-tu pas bien à plaindre d’avoir une femme qui, loin de devenir meilleure par les maladies, en acquiert de nouveaux défauts ?