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M. d’Eu a causé longuement aujourd’hui d’Italie, de ton voyage au second volume duquel il est parvenu ; nous avons passé plus d’une heure fort rapidement ; tu sais qu’il ne vient jamais avec sa femme et il a grand’raison, car devant elle il ne sait plus causer. M. de Bray est demeuré tout autant ce soir ; il doit m’envoyer demain une missive pour joindre à mon paquet. Le fils Price est venu ce matin savoir de nos nouvelles. À propos de M. de Bray, ne veut-il pas absolument m’envoyer du vin d’Espagne ? Je m’en suis défendue honnêtement et fort mais il m’a l’air fort décidé à n’avoir pas d’égard à mes remerciements.

Je ne veux pas oublier de te dire que je désirerais que tu fisses à Agathe un petit présent qui lui fût utile : soit d’un pain de sucre ou d’une couple de livres de tabac ; elle consomme beaucoup de l’un et de l’autre.

Tu ne m’as encore rien dit du pâté pour Mme  Miot[1]. Les prétendus ou vrais pâtés qui chargeaient ta diligence[2] n’ont pas été seule cause des accidents qu’elle a soufferts ; elle était chargée ce jour-là de 36 mille livres, que M. de Vin y avait mis ; tu pourras lui en faire tes reproches ; il doit t’écrire tous les jours : mais tu n’ignores pas qu’il est longtemps à devoir faire ce qu’il veut exécuter.

En faisant ce matin la revue de ma maison, j’ai vu avec effroi que mon bois s’en allait grand train ; il faudra renouveller la provision sous quinzaine. Et les bouteilles ? et l’apothicaire ? et le médecin ? etc… c’est le diable !

  1. Et Roland de répondre (2 janvier 1782, ms. 6240, fol. 122-123) : « Point de pâté pour personne ; c’est un parti pris. Je donnerai un exemplaire… »
  2. Allusion aux incidents du voyage de Roland, lorsqu’il était reparti pour Paris le 21 décembre 1781. Il écrivait, le 23 décembre, en arrivant à Paris : « Arrivé à la messagerie à dix heures et demie [du soir], on chargeait tant et l’on a tant chargé la voiture, entre autre choses de 180 pâtés, pesant ensemble environ 2700 livres, que nous ne sommes partis qu’après minuit… » Dès le faubourg de Beauvais, la voiture ayant failli verser, « il a fallu descendre dans la boue… décharger 60 desdits pâtés, pesant 900 livres, d’un plus grand nombre qui étaient sur l’impériale, qui à elle seule était chargée de 1200 livres… » On voit par cette lettre de Roland que la diligence, qui aurait dû partir d’Amiens le 21, à 10 heures et demie du soir, n’arriva à Paris que le 23 à 11 heures du matin, soit 36 heures pour faire 28 lieues.