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venir dans ma chambre sitôt qu’elle est propre et aérée ; je n’ai pas acquis une once de force depuis trois jours. Hier, que j’étais baissée au feu pour le plaisir de faire la soupe de ma petite, j’oubliai de m’étayer des deux mains pour me relever et je tombai fort proprement le derrière à terre ; comme je ne me suis pas fait grand mal, l’aventure m’a paru comique.

Nous allons aujourd’hui couci, couci ; après quatre jours passés sans coliques, celles-ci sont revenues hier sur le soir ; j’avais dîné avec une petite limande grillée et trois cuillerées de purée de lentilles ; mon manger passa si bien, sans pesanteur, qu’à six heures je me mourais de besoin ; je soupai avant sept, avec deux œufs brouillés au jus de mouton. J’étais horriblement fatiguée, je me couchai aussitôt. Trois quarts d’heure après, je m’endormis ; on ne me réveilla point pour mon bol et j’eus un fort bon sommeil jusqu’à deux heures. Le reste de la nuit se passa en douleurs ; Marie-Jeanne se leva avant cinq heures ; la faim me prit, elle me donna un biscuit de Savoie avec deux doigts de vin ; cela ne suffit pas. On me fit promptement mon cacao dont je déjeune actuellement ; il me réussit bien ; mais il me nourrit beaucoup moins que le chocolat, et je suis toujours obligée de recommencer avec autre chose, trois heures après l’avoir pris. C’est ainsi qu’il a fallu répéter ce matin, et à deux fois, jusqu’au dîner. Je ne puis attribuer qu’à l’âcreté de quelque humeur ces tiraillements et ces défaillances d’estomac ; c’est aussi l’avis de mon docteur, qu’on a été chercher et qui me donne demain du catholicon double avec du sirop de chicorée. Je me sens bien à ce moment, mais je m’aperçois que le dîner s’en va déjà grand train et qu’il faudra manger avant le soir ; je prends peu à la fois, j’ai toujours peur de trop charger ; peu s’en faut que le médecin ne soit fâché de ce que je n’ai pas encore essayé de viande : je n’ose m’y hasarder. Je suis savante en dysenterie depuis deux jours que j’ai lu sur ce sujet un long mémoire dans le Journal économique[1].

  1. Le Journal économique, publié par Baudeau, etc. avait paru de 1751 à 1772. « Il s’occupait surtout d’agriculture et d’économie domestique. » (Hatin, p. 62). Roland en faisait grand usage et le cite à chaque page de son Dict. des Manufactures.