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En conséquence, elle vous prie de lui faire la grâce d’accélérer son jugement. Sa reconnaissance égalera son respect.

Salut et fraternité.

La citoyenne Fleury,

À la Conciergerie, l’an IIe, etc.


Son impatience ne fut pas satisfaite ; elle attendit six mois. L’acte d’accusation qui l’envoie devant le tribunal révolutionnaire, avec Lecocq et trois autres prévenus dont l’affaire n’avait aucune connexité avec la leur, est du 6 prairial an ii (25 mai 1794). L’acte rappelle les propos incriminés et ajoute, comme attendu, « qu’elle était très attachée à la femme de ce traître [Roland] ».

C’est le 19 prairial-7 juin 1794, trois jours avant la terrible loi de Robespierre, que Lecocq et Fleury, avec cinq autres inculpés, comparurent devant le Tribunal. Dobsent présidait, assisté de Bravet et de Foucault. Parmi les témoins, l’ignoble Tisset et la femme Dorigny déposèrent sur les deux domestiques de Roland. Lecocq fut condamné à mort, Fleury acquittée.

Champagneux (t. I, Disc. prélim., p. lxxvii) dit à ce sujet, dans son style à effet : « Fleury ne put réussir à se faire condamner ; la douleur de la perte de sa maîtresse avait tellement affaissé ses sens, qu’on la crut en démence lorsqu’elle passa devant le Tribunal révolutionnaire ; elle fut acquittée et renvoyée comme folle… ».

La remarque de Champagneux, acceptable pour l’interrogatoire du 27 novembre 1793, ne l’est guère pour l’audience du 7 juin 1794. En six mois, Fleury avait eu le temps de se ressaisir. Ce qui nous parait plus vraisemblable, c’est que quelqu’un (le juge de paix Lacoste ? le défenseur Guyot ?) dut s’intéresser à elle. Sa lettre du 3 décembre, à l’accusateur public, n’est pas du style d’une servante. Ce qui nous le fait croire encore, c’est que nous trouvons Fleury au nombre des prévenus acquittés auxquels des indemnités furent accordées par décrets de la Convention : « À la citoyenne Marie-Marguerite Fleury, de Paris (sic), une indemnité de huit cents livres pour huit mois de détention[1] ». Elle put, du moins, en sortant de prison, se dire qu’elle n’avait acheté son salut par aucune défaillance.

Que devint-elle dans les derniers mois de 1794 ? Ses maîtres étaient morts, leurs amis proscrits et dispersés ; mais il restait Eudora Roland ; la fidèle bonne et l’enfant qu’elle avait élevée se rejoignirent bientôt. Bosc s’occupait à ce moment-là de se faire conférer la tutelle légale d’Eudora, pour la remettre ensuite en possession de son héritage. Une lettre à lui adressée par la jeune fille, le 9 janvier 1795[2], montre les deux femmes déjà réunies : « Dans sa détresse, dit l’analyse du catalogue, elle lui demande des conseils et s’inquiète surtout pour sa servante qui n’a rien et qui a été pleine de dévouement ».

À partir du printemps de 1795, Eudora Roland est pleinement sous la tutelle de Bosc, et Fleury reste auprès d’elle ; elle les accompagne en Beaujolais, à Villefranche et au Clos,

  1. Catalogue Charavay de 1862, p. 193 : « Huit décrets de la Convention, allant du 2 prairial an ii (21 mai 1794) au 24 messidor an ii (12 juillet 1794), accordant des indemnités à des citoyens pauvres, etc. »
  2. N° 395 du catalogue de la collection E. Michelot, vendue les 7 et 8 mai 1880 ; Eug. Charavay, expert. La lettre est datée du « 20 nivôse 1795 », lisez 20 nivôse an iii (9 janvier 1795).