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Nations, établie dans le ci-devant collège du Plessis, rue Saint-Jacques[1]. Louis Bonaparte avait suivi quelque uns de ses cours[2] ; Joseph lui demanda de diriger les études géographiques dfe ses enfants. « J’ai été admis dans l’intimité de la famille Bonaparte[3]. » Le premier Consul lui demanda de diriger la construction d’un nouveau globe terrestre, de trois pieds de diamètre, qui ne fut terminé qu’en 1811. Un jour, Bonaparte vint voir le globe, et quand Mentelle voulut le reconduire : « Restez donc, dit le général, on ne fait pas de façons avec ses collègues ». Ces anecdotes enfantines, recueillies par les amis de Mentelle, portent bien la marque de la période consulaire. Le vieux savant ne reçut d’ailleurs que des bienfaits de la puissante famille. Lorsqu’il dut se faire tailler de la pierre, en 1805, à 75 ans, Joseph et Louis lui envoyèrent chacun une pension de 1,500 livres[4].

Comme si cette redoutable opération l’eût rajeuni, il s’avisa, étant devenu veuf depuis quelques années, de se remarier avec la fille du comte de La Noue.

Il fut mis à la retraite en 1810, octogénaire, après cinquante ans de services.

En 1811, rédigeant sur sa vie quelques note, que Mme de Salm a publiées à la suite de sa Notice de 1839, il n’eut garde d’oublier Brissot. Ces lignes, où Mentelle s’honore d’avoir été l’ami du conventionnel alors tant calomnié, méritent d’être citées :

« J’ai connu particulièrement l’estimable, le vertueux Brissot de Warville, qui avait épousé la fille d’un de mes amis (M. Dupont). Il a été bien mal jugé ou plutôt odieusement calomnié quand on l’a cru poussé par l’ambition. C’est au contraire, l’ambition et la jalousie de celui qui tyrannisait alors la France qui l’ont perdu. Il n’a eu contre lui qu’une tête trop ardente et le fanatisme de la liberté. Il eût consenti à vivre dans une chaumière, parce que c’eût été un état démocratique. C’était d’ailleurs la vertu même et l’homme le plus pénétré du désir de faire le bien. Puisse cette justice que je lui rends, parce qu’elle lui est due, avoir quelque influence sur ce que diront de lui les historiens du temps ! »

Et sa production de librairie ne s’arrête pas ! On trouvera, dans la France littéraire de Quérard, l’interminable liste de ses ouvrages. Qu’il suffise de dire qu’en octobre 1813, à 83 ans accomplis, il publiait encore une Géographie classique. Ce que vaut cette production, nous n’avons pas à l’examiner ici. Nous nous bornerons à dire que ces ouvrages, superficiels, mais d’une lecture aisée, ont constitué presque exclusivement, pendant cinquante ans environ, de 1780 à 1830, la littérature géographique de notre pays, et que, par leur esprit libéral, ils effrayaient l’inquisition espagnole[5] !

Décoré de la légion d’honneur par Louis XVIII en 1814, Mentelle mourut le 28 décembre 1815 et fut enterré aux frais de l’Institut, par une innovation dont nous avions (à tort) cherché l’origine dans son peu de fortune, et qui paraît n’avoir été que l’application

  1. Almancach national de l’an xii, p. 691.
  2. En 1805, lorsque Mentelle publia son Atlas des commerçants, il en offrit un exemplaire à Mme Louis Bonaparte, avec une lettre exprimant l’espoir « qu’il pourrait servir aux premières leçons » de son premier enfant (Napoléon-Charles, qui avait alors trois ans !). — Voir C. D’Arjuzon, Madame Louis Bonaparte, in-8o, 1901, p. 137.
  3. Notes de Mentelle, publiées par Mme de Salm.
  4. Mme de Salm, Notice.
  5. Elle interdit le Cours de Géographie de Mentelle. (G. Desdevises du Désert, Notes sur l’inquisition espagnole au XVIIIe siècle, Paris, 1899, p. 61. — D’après les archives des Affaires étrangères, à Paris.)