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lettre écrite par Brissot, de l’Abbaye, le 7 septembre, à Barère, en réponse au discours prononcé par celui-ci dans cette séance du 5 où il fit « placer la Terreur à l’ordre du jour »). Cette lettre n’avait pu être imprimée : « Brissot ne trouva point à Paris, ne trouva point ailleurs, dans toute la France, un imprimeur assez courageux pour oser publier le démenti qu’il donnait à Barrère ; mais cet écrit existe ». (Mém. de Buzot, édit. Dauban, p. 25 ; morceau écrit aux premiers jours de novembre 1793.) C’est précisément pour cela que Madame Roland disait à Mentelle : « Faites donc courir… ». La lettre de Brissot ne fut imprimée qu’au commencement de 1795, par Riouffe, qui avait été un de ses compagnons de la Conciergerie. (Mémoires d’un détenu, p. 158 de la 2e édition.)

Mais Mentelle recevait de Brissot un dépôt autrement important : ses « Mémoires » eux-mêmes.

Champagneux (Disc. prélim., p. xlix-li) raconte que, dans un entretien qu’il eut avec Madame Roland à Sainte-Pélagie, le jour des funérailles de Marat (17 juillet), elle exprima le vœu que Brissot écrivit ses Mémoires : « Il a des vérités utiles à dire à ses contemporains et des leçons importantes à donner à la postérité ; il faut qu’il accomplisse cette tâche : elle sera plus douce pour lui quand il y sera convié par moi ». Et quelques jours après, elle lut à Champagneux une lettre qu’elle adressait à Brissot pour qu’il entreprît ce travail, lettre que Champagneux regrette fort de n’avoir pu « recouvrer ». Il ajoute : « L’exhortation de la citoyenne Roland produisit son effet ; Brissot écrivit des Mémoires auxquels il donna le nom de son Testament politique… Déjà cet ouvrage avait franchi les barrières de la prison : déjà l’impression en assurait une publicité très prochaine, lorsque Robespierre, qui en fut informé et qui en prévit les terribles effets, réussit à faire brûler toute l’édition et même le manuscrit… J’ai cependant ouï dire qu’un exemplaire fut sauvé, qu’il est entre les mains de R… et qu’il reverrait bientôt le jour. »

Il ne faudrait pas tenir ces renseignements pour très précis. Champagneux, incarcéré du 4 août 1793 au 12 août 1794, puis retiré en Dauphiné, ne revint à Paris qu’à l’automne de 1795 et, par conséquent, ne parle que par « ouï-dire » (en juillet 1799) de tout ce qui s’est passé entre ces dates extrêmes. Nous avons d’ailleurs constaté en d’autres circonstances qu’il dramatise un peu ses récits. En ne gardant de son témoignage que l’essentiel et en examinant, d’autre part, les Mémoires de Brissot tels que nous les avons, on arrive aux conclusions suivantes :

1° Que Brissot, à l’Abbaye, continua (nous ne disons pas commença) des Mémoires entrepris longtemps avant son incarcération[1]. Bien des pages de l’œuvre, telle que nous la possédons, ont été évidemment écrites en juin, juillet et août 1793. (Voir notamment I, 357 ; II, 135, 334 ; III, 191.) Nous avons d’ailleurs aussi, là-dessus, le témoignage de M. de Montrol, l’éditeur des Mémoires (Préface, p. xv) ;

2° Que ces cahiers, remis à des amis fidèles, « avaient franchi les barrières de la prison »,

  1. Il ressort de la simple lecture des Mémoires que maint chapitre a été écrit avant la Révolution. M. de Montrol dit d’ailleurs expressément (Préface, p. xv) qu’une partie avait été composée en 1785, sans doute durant ce séjour de trois à quatre mois que Brissot fit alors dans le Dunois, chez son ami de collège, le prieur Joliet (I, 401).