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22 novembre 1781, ms. 6240, fol. 113). Une autre fois, c’est Madame Roland qui écrit à son mari, le 22 mars 1784 : « Mme  d’Arbouville ressemble assez, par les traits à Mme  Mentelle… ».

À la brièveté de ces mentions, on voit que les Mentelle ne sont alors pour les Roland que des connaissances. Mais, avec Brissot, la liaison est intime ; Mentelle avait eu pour ami un négociant de Boulogne-sur-Mer, appelé Dupont, et était resté en relations avec sa veuve, qui, lorsque Brissot alla habiter Boulogne en 1778, le reçut chez elle, lui parla de Mentelle et lui en fit « le plus brillant portrait ». L’année suivante, Brissot revenant d’Angleterre, malheureux et découragé, elle l’adressa à Mentelle, auprès duquel le jeune publiciste trouva consolation et assistance. L’historiographe du comte d’Artois avait alors « réputation et aisance » ; sa maison était « le rendez-vous des talents et des arts » ; il se faisait chérir « par son zèle toujours actif pour ses amis ». C’est chez Mentelle que Brissot, dans les premiers mois de 1780, retrouve la fille aînée de son hôtesse de Boulogne, Mlle  Félicité Dupont, et qu’ils s’engagent l’un à l’autre. Mentelle les accompagne au cours de Fourcroy ; il introduit Brissot dans la société assez disparate de littérateurs et de savants qu’il réunissait chez lui : l’abbé de Chaupy, le celtisant Le Brigant, Perreau, depuis inspecteur général du Droit, le toulousain Villar, qui devint évêque en 1791, puis conventionnel et académicien, Pelleport, ancien élève à l’École militaire avant qu’il n’allât se faire libelliste à Londres, le grand Laplace et enfin Lavoisier[1]. Ajoutons que Mentelle était aussi lié avec Lagrange, Monge, d’Anville[2], ainsi qu’avec Dupont de Nemours, qui, après qu’il eut épousé la veuve du savant Poivre, lui remit, sur la vie du voyageur lyonnais, des notes qui furent communiquées à Brissot[3].

On faisait chez Mentelle d’excellente musique. Brissot parle plusieurs fois de ces concerts, où brillaient, avec la maîtresse de la maison, Clémenti « et d’autres célèbres clavecinistes », parmi lesquels un certain Desforges d’Hurecourt, qui porta le trouble dans le ménage. (Mém. de Brissot, I, 309 ; II, 57, 220.) Le bon Mentelle dut pardonner, car nous allons voir que sa femme était encore avec lui lorsque nous le trouverons, après 1792, logé aux Galeries du Louvre.

Deux traits attestent l’affection de Mentelle pour Brissot. Pendant le séjour du malheureux journaliste à la Bastille (juillet-septembre 1784), il fut un ceux qui pressèrent la « comtesse-gouverneur », Mme  de Genlis, d’intéresser le duc d’Orléans à sa délivrance. Il fit plus, il se porta garant. « Le sieur Brissot de Warville, — disait le rapport du lieutenant de police Lenoir à M. de Breteuil, ministre de la maison du Roi, — …est né de parents honnêtes et le sieur Mentelle répond de sa conduite… J’estime qu’il est juste de lui accorder sa liberté. »

Deux ans après, Mentelle est parrain du second fils de Brissot, Edme-Augustin-Sylvain, baptisé le 14 mars 1786. Dans l’acte[4], il est désigné ainsi : « Edme Mentelle, pensionnaire, rue de Seine.

Une pièce curieuse, étudiée par M. Étienne Charavay et publiée par M. Maurice Tour-

  1. Mémoires de Brissot, t. I et II, passim.
  2. Notice de Mme  de Salm.
  3. Mémoires de Brissot, II, 98-99.
  4. Publié par M. Ch. Nauroy. (Le Curieux, II, 78.) La marraine est Augustine Cléry, une parente de Mme  Brissot.