par la communication de ce que je sens ; je me transporte à tes côtés, je te vois, tu m’entends, et je laisse mes idées, mes expressions, le silence même se succéder doucement avec le charme et la liberté de la confiance. Notre petite repose, je ne suis pas loin d’elle, j’entends son souffle léger annoncer par son égalité la paix de son sommeil, sa situation influe sur la mienne et porte le calme dans mes sens. Combien elle m’occupe et m’attache déjà ! J’épie ses progrès, bien peu sensibles encore ; je crois pourtant être sûre qu’elle m’a ri : c’était ce matin ; je chantais après l’avoir allaitée, en la tenant sur mes genoux ; je chantais avec complaisance, imaginant que les inflexions de ma voix pouvaient disposer ses organes aux impressions dont je me servirai un jour pour remuer son âme ; elle marquait de l’attention, ses yeux se sont fixés, sa bouche m’a souri ; elle faisait un petit bruit d’aise, en élevant ses mains ; je l’ai baisée avec transport et j’ai pleuré de ce que tu n’étais pas là. Reviens, mon ami, au sein de ton ménage ; je n’ai pas de bonheur sans toi, et bientôt ta fille te caressera. Bon Dieu ! pour combien de temps encore te voilà loin de nous !
Je trouve les heures rapides parce que l’occupation les remplit, mais les journées sont pesantes et là somme de celles à passer jusqu’à ton retour me semble une éternité. Le pis est que je te sais accablé d’affaires, courant beaucoup et trouvant, comme il est ordinaire, plus de contrariétés que de satisfaction dans ton chemin. Heureusement tu retrouves l’ami au gîte, et c’est là que j’aime à te considérer, jouissant de quelque repos et cultivant avec franchise le sentiment consolateur qui fait oublier les misères de la société.
Avez-vous le loisir de sortir quelquefois ensemble, de visiter des cabinets, etc. ? On a annoncé dans les papiers une vente de tableaux dont plusieurs des plus grands maîtres des trois écoles. Amasses-tu toujours des catalogues et vois-tu l’abbé Desh-ssy [Deshoussayes][1] ?
- ↑ L’abbé Deshoussayes, en 1781, avait quitté Rouen pour devenir bibliothécaire de la Sorbonne. « Je ne l’ai pas vu et il paraît ignorer que je suis à Paris ; mais nous nous verrons immanquablement dans une vente où il est exact et où je dois aller. » (Lettre de Roland, du 22 novembre.) On va voir d’ailleurs qu’il allait retourner à Rouen.