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refluer les humeurs au centre et y cause des désordres ; voyez, par l’exemple des animaux toujours cachés sous leur mère, combien la nature indique le besoin de chaleur pour faciliter l’accroissement. Nous avons disserté pendant une heure, ce qui n’est pas difficile, car on peut faire des raisonnements à perte de vue sur les principes et les généralités ; mais appliquons à la pratique et traçons exactement ce qu’il faut faire. Ici mon docteur s’est un peu brouillé, car il estime fort important de laisser aux mains toute la liberté de leurs mouvements ; il trouvait l’expédient de petites enveloppes de toile ; j’ai objecté l’inconvénient de laisser sucer du linge, ce qui arriverait parce que l’enfant porte souvent les doigts à sa bouche. Le raisonneur courait toujours aux grands mots, pour éviter l’embarras de donner des règles sûres que je lui demandais, et j’ai conclu qu’il fallait aller mon train, laisser l’enfant jouer ses mains découvertes dans ma chambre, dont j’ai soin de rendre l’air assez doux.

Tu penses bien que cette consultation n’a été faite que par occasion, lorsque j’ai envoyé chercher le chirurgien pour Joséphine ; car, tant que je verrai ma fille bien prendre, bien digérer, bien profiter, je ne m’inquiéterai guère de l’entendre beaucoup péter, chose très permise à son âge.

Voilà une causerie de ménage ; en vérité, cela vaut bien autre chose ; tu as eu du noir, mon ami ? Et je n’étais pas là pour t’ouvrir mon cœur et t’y présenter l’asile de l’amitié ! Je contribuais à ta tristesse ; cette idée me serre et m’arrache des larmes. Si j’avais imaginé que, m’ayant écrit le vendredi, tu ne fisses pas chercher la réponse le dimanche, je t’aurais écris directement ; car les bureaux causent à mes lettres un retardement que n’éprouvent pas les tiennes : mais il est inutile de revenir sur le passé ; j’attends avec empressement une lettre où tu m’exprimes ta tranquillité, et qui nous mette au courant l’un et l’autre. Adieu, pour ce soir, cher et bon ami, je t’embrasse tendrement.


Samedi.

Je reçois le paquet renvoyé, les quittances qui l’accompagnent et