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Ce premier et rapide séjour avait suffi pour faire naître, entre Madame Roland et lui, une vive sympathie, dont l’écho se retrouve dans une lettre qu’elle lui adressait un mois après (lettre 369). Le 4 août, après avoir traversé à cheval les bois d’Alix, pour aller s’informer à Lyon des troubles où elle craignait que Roland ce fût impliqué, elle écrivait, le soir, à son nouvel ami ; « J’ai quitté aujourd’hui au soleil levant ma solitude et mon ami [Roland]. Comme il faisait bon dans les bois, doucement abandonnée aux impressions de la nature à son réveil !… J’ai beaucoup songé à vous, j’ai repassé sur une partie du chemin que nous avons fait ensemble… Vous êtes appelé à connaître tout ce qu’il y a de félicité en ce monde, car vous sentez le prix de la vertu : il n’y a rien au delà ! »

Bancal, de son côté, avait subi le charme. Il avait promis de revenir pour un plus long séjour et de ramener Lanthenas. En attendant, la correspondance marche aussi activement, avec autant d’abandon aimable que si on se fût connu depuis des années (voir les lettres 360 à 377). « Les deux voyageurs » — c’est ainsi que leur écrivait Madame Roland — arrivent enfin au Clos le 28 août ; deux lettres de Roland à Bosc[1] nous les montrent déjà installés ; il écrit en effet, le dimanche soir [29 août] : « Je ne vous dis rien de nos amis communs ; ils arrivèrent hier et ils vous écrivent… ». Et, le 31 : « Nous sommes tous distribués, chacun à son laboratoire, chacun écrivant, on ne sait à quoi ni à qui… ». Et le temps se passe doucement. On fait jouer Bancal au volant, on le mène promener sur les coteaux boisés qui environnaient le Clos, on évangélise avec lui le vicaire et le maître d’école ; il s’intéresse aux pauvres gens qu’assistait la rustique châtelaine, et, avant de partir, il lui laissera quelque argent pour ses pauvres. Puis on va passer quelques jours à Lyon ; Roland et sa femme y arrivent le 14 septembre ; Lanthenas et Bancal viennent les y rejoindre le lendemain, et tous repartent ensemble pour le Clos le 19 ou le 20[2]. On correspond toujours avec les amis de Paris ; Brissot écrit les 6 et 18 septembre (ms. 9534, fol. 45 et 343) ; dans sa dernière lettre, il disait à Lanthenas : « J’ai lu avec plaisir les détails que vous m’envoyez sur les abbayes que vous avez vues. Continuez. Le plan est bien entre vos mains et celles de Bancal… ». Les 25 et 28 septembre, Lanthenas écrit à Bosc, au nom de Bancal comme au sien (coll. Morrison).

Bancal quitta ses amis le 2 octobre, pour rentrer à Clermont, où l’appelait l’élection des juges aux nouveaux tribunaux (lettre de Lanthenas à Bosc du 4 octobre, coll. Morrison). Ce séjour de cinq semaines, dans le calme et la liberté de la campagne, avait singulièrement resserré l’amitié vive, si soudainement née dès la première rencontre de juillet, et dont nous avons déjà noté l’expression attendrie. Mais il est visible que Bancal, en septembre, avait souhaité et demandé davantage ; non moins visible que Madame Roland, sans se défendre d’être émue, marque résolument à son hôte les limites où sa sensibilité devra se renfermer (voir particulièrement les lettres des 8 et 28 octobre 1790, 24, 26 janvier et 11 février 1791)[3].

  1. Coll. Morrison.
  2. Correspondance et coll. Morrison. — Cf. Patriote français du 6 octobre, Nouvelles de Lyon : « Des voyageurs instruits qui ont fait quelque séjour dans cette ville, nous marquent que l’aristocratie y a jeté le masque… »
  3. Cf. Sainte-Beuve, dans sa belle Introduction aux Lettres à Bancal, p. xlviii et suiv.