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n’ai jamais vu sa personne et je ne puis attribuer les témoignagne de son estime qu’à l’analogie de nos sentiments ».

Au moment où Roland s’exprimait ainsi, Brissot n’était plus en France. En mai 1788, il était parti pour les États-Unis, avec une mission de Clavière : il s’agissait de « traiter avec le congrès de la dette qu’il avait contractée avec la France, sauf ensuite de s’arranger avec le gouvernement français »[1]. Mais, avant qu’il ne partît, un autre lien s’était établi entre les Roland et lui : il avait fondé à Paris, en février 1788, sa Société des Amis des noirs, et Lanthenas, toujours prêt aux affiliations, y était entré, présenté par le fondateur lui-même (Mémoires de Brissot, III, 88). Bientôt admis dans la famille de Brissot, Lanthenas lui parla des Roland, de même qu’en écrivant à ceux-ci il les entretenait de son nouvel ami. Il ne tarda pas à servir d’intermédiaire pour un commencement de correspondance[2] : « … Un de nos amis, résidant à Paris et avec lequel nous étions en correspondance habituelle, nous manda qu’il avait fait la connaissance de Brissot, et qu’il avait trouvé en lui un philosophe dont la vie simple, les bonnes mœurs et le caractère facile n’offraient point de contradiction avec ses écrits. Édifié de sa famille et de sa manière de vivre au milieu d’elle, attiré par son esprit, il le voyait souvent et nous en entretenait à proportion, d’autant plus qu’il fut chargé de quelques lettres que R. et B. s’écrivirent réciproquement, par suite de la première communication littéraire qui s’était faite entre eux…[3].


§ 2.

Quand Brissot revint d’Amérique, aux premiers jours de l’année 1789, c’est avec les amis de Roland et avec la collaboration des Roland eux-mêmes qu’il s’apprête à fonder son journal. Les prospectus du Patriote français du 16 mars et du 1er avril annonçaient l’apparition du journal pour le 10 avril[4]. Or, dès le 3 avril, il semble bien (lettre 320) que ce soit pour ce journal que Madame Roland envoie à Bosc des renseignements sur Lyon. Mais, le 15 avril, le directeur de la librairie, M. de Maissemy, ayant demandé l’interdiction du journal qu’annonçait, « sans aucune permission, M. Brissot de Warville, arrivé au dernier degré de l’audace enhardie par l’impunité » (Tuetey, t. II, n° 2882), un premier numéro paru, soit aux premiers jours d’avril, soit au commencement de mai, n’eut pas de suite immédiate. Ce n’est que le 28 juillet, deux semaines après la prise de la Bastille, que put

  1. Notice sur Brissot, par Pétion, publiée par M. Vatel, II, 236. Dans son projet de défense devant le tribunal révolutionnaire, Brissot donne d’autres motifs : « Y apprendre les moyens d’opérer dans mon pays une révolution semblable, ou y fixer ma famille, s’il fallait renoncer à l’espoir de cette révolution ». Tous ces motifs existaient.
  2. Voir notre article de la Révolution française, mai 1898, sur « Brissot et les Roland ».
  3. Mémoires inédits de Madame Roland, Bibl. nat. n. a. fr. ms. 4697. — Nous venons de dire que cet ami commun devait être Lanthenas. Les dernières lignes de ce passage permettraient aussi de songer à Bosc, en raison des facilités postales qu’il procurait à ses amis.
  4. Tourneux, 10196 ; Hatin, Bibliogr., p. 142, et Histoire de la presse, t. V, p. 8-11. Le prospectus promettait un journal « politique, national, libre, indépendants de la censure… ».