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Ce que fut ce service, organisé sur les indications de Pache, Champagneux nous le raconte dans son mémoire justificatif de 1794 (ms. 6241, fol. 172). Nous avons publié ce morceau dans la Revue historique (janvier-avril 1887, p. 87). Il suffira d’en donner ici quelques ligues : « Je passais à les lire [les lettres arrivant pour le ministère] et à méditer sur les réponses à faire depuis cinq heures du matin jusqu’à dix. Depuis cette heure jusqu’à midi, je conférais avec le ministre ; je prenais ses décisions et ses signatures. À midi, je revenais dans mon bureau, où le public était admis jusqu’à quatre heures. Le reste de la journée, sauf le moment du repas et quelquefois d’une promenade, je l’employais à l’examen des lettres destinées pour la signature du lendemain… ».

C’est avec de tels travailleurs que s’est organisée la France nouvelle.

Aussi Champagneux était-il vraiment le bras droit de Roland, et lorsque la lutte fut devenue implacable entre le ministre et les clubs jacobins, fut-il dénoncé avec la même violence que son chef. Il ne le suivit pas pourtant dans sa retraite, à la fin de janvier 1793, Garat, qui prit le ministère de l’intérieur, d’abord par intérim, puis en titre à partir du 14 mars, avait trop besoin des services d’un commis si laborieux et si expérimenté.

Il est évident que le maintien de Champagneux impliquait dans une large mesure la continuation des traditions administratives de Roland, et particulièrement du service de l’Esprit public. Il y avait eu, sous Roland, un bureau institué sous ce titre, à la tête duquel ou avait placé un commis appelé, A-F. Letellier[1], mais dont Champagneux avait véritablement la haute direction, puisqu’il s’agissait d’envoyer aux autorités et aux sociétés populaires des départements « les bons écrits », c’est-à-dire les brochures, journaux, etc., qui défendaient la politique du ministère. Le parti montagnard, à l’Assemblée, aux Jacobins, dans la presse, attaquait ardemment cette institution, dont Madame Roland, dans ses Mémoires (I, 122-125) s’efforce habilement d’atténuer le caractère combatif. Roland parti, on pouvait d’autant moins continuer, que la Convention, le 21 janvier, avait supprimé les fonds affectés à ce service. Mais Champagneux persuada à Garat, en avril, de réorganiser le bureau, en lui donnant la direction d’une police politique secrète, faite par des « observateurs de l’esprit public » (Ad. Schmidt, Tableaux, I, p. 131 et suiv.). Il s’agissait avant tout de surveiller la commune de Paris, plus ardente que jamais à mettre la main sur l’Assemblée et le gouvernement. Champagneux a raconté, dans un fragment de ses Mémoires que nous avons publié (Revue historique, loc. cit.), les objurgations incessantes qu’il adressait là-dessus au timide Garat.

Il usait aussi de son influence auprès de son nouveau chef, après l’arrestation de Madame Roland au 1er juin, pour la servir dans la mesure du possible. Il se concertait avec Grandpré, l’inspecteur des prisons, pour transmettre aux ministres les réclamations hautaines de la prisonnière, non sans les avoir fait adoucir quelque peu. Il l’allait voir à l’Abbaye (Mémoires, I, 41-42), à Sainte-Pélagie (ibid., 218). Il recevait le dépôt des premiers cahiers de ses Mémoires.

  1. A.-F. Letellier était un ami de Bosc, ainsi qu’il résulte de deux lettres de la Collection Beljame. En 1796, nous le retrouvons commissaire du Directoire dans la Loire-Inférieure et la Vendée. En 1797 et 1799, il est membre du Bureau central qui administrait la ville et le canton de Paris. (Ad. Schmidt, Tableaux de la Révolution française.)