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par peur, par lâcheté ; vous avez abandonné un ami de vieille date à l’insolente persécution d’une horde de brigands dont vous craigniez l’influence, et c’est à moi que vous osez dire que c’est là de la prudence !

Non, Lanthenas, la vertu triomphera, dussions-nous tous périr ! L’histoire nous vengera. Elle me vengera, moi en particulier. Les lâches, les brigands peuvent tuer mon individu ; ils ne tueront pas ma mémoire…[1]

L’ancien ministre se trompait en attribuant « à la peur, à la lâcheté » l’éloignement de Lanthenas, tandis qu’il y avait d’autres causes que Madame Roland connaissait mieux. Mais son ignorance à cet égard fait comprendre son profond ressentiment de l’abandon inexpliqué de son ami.

Dans la séance des 13 et 14 avril, Lanthenas fut des 92 députés qui votèrent contre la mise en accusation de Marat. Cela n’empêcha pas que le lendemain, 15, lorsque les commissaires des sections de Paris, conduits par le maire de Paris, et ayant à leur tête, comme orateur, le jeune Rousselin [de Saint-Albin], vinrent demander à la Convention d’exclure de son sein vingt-deux députés brissotins, le nom de Lanthenas figurât sur cette liste. Mais ce timide ne s’effraya pas : le 16 mai, en pleine Convention, il s’attaquait à Marat, à ce Marat que, un mois auparavant, il avait défendu au nom des principes : « C’est toi, lui dit-il dans une apostrophe irritée, c’est toi qui es un aristocrate, car tu veux la contre-révolution en prêchant le meurtre, le pillage… ». Ce seul moment suffit à justifier Lanthenas du reproche de lâcheté.

Au 2 juin, il était encore sur la liste des Vingt-deux, dénoncés par le département de Paris, que Barère invitait, au nom du Comité de salut public, à se démettre volontairement de leur mandat. Il se démit en ces termes : « Nos passions, nos divisions, ont creusé sous nos pas un abîme profond. Les vingt-deux membres dénoncés doivent s’y précipiter, si leur sort, quel qu’il soit, peut le combler et sauver la République ». C’est alors que Marat intervint pour demander, non pas la suspension, mais l’arrestation des vingt-deux, en ajoutant qu’il fallait retrancher de la liste Ducos, Dusaulx et Lanthenas, « Lanthenas, pauvre d’esprit, qui ne mérite pas que l’on songe à lui ». Cette pitié insultante de Marat est plus dure encore que le dédain de Madame Roland et ne nous parait pas plus méritée.

Le malheureux Lanthenas, rejeté et ballotté ainsi entre les partis, prêchant la paix au milieu de passions exaspérées, ne parvenant à se faire écouter de personne, ne comprenant rien visiblement à la tempête au milieu de laquelle il se débattait, fit une dernière et vaine tentative : du 7 au 9 août, il faisait distribuer à la Convention un opuscule ainsi intitulé :

« Motifs de faire du 10 août un jubilé fraternel, une époque solennelle de réconciliation générale entre tous les républicains, en consacrant une déclaration des devoirs de l’homme, des principes et maximes de la morale universelle, par F. Lanthenas, député à la Convention nationale. Imprimerie nationale, 1793, in-8o, 78 pages. Prix, 1 livre. » — L’ouvrage avait pour objet, dit-il, « de prévenir les malheurs de Lyon et d’arrêter les désastreuses conséquences du 31 mai ».

  1. Nous abrégeons la citation.