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§ 2. L’Étudiant.

Dès le premier jour, entre Lanthenas, logé sous les toits, et les Roland, occupant au-dessous un appartement modeste, mais moins inconfortable, l’intimité fut complète, paisiblement fraternelle. Madame Rolaud, dans ses lettres, l’appelle « le frère », « le petit frère ». Lui, de son côté, la nomme « la sœur », « la petite sœur, sorella ». D’autres fois, surtout quand Roland tient la plume, c’est « le camarade », « le compagnon », « le fidèle Achate ». Toute la correspondance nous montre Lanthenas vivant ainsi dans l’ombre des Roland et réalisant, comme dit Sainte-Beuve, « l’idéal du famulus ». Madame Holand dit d’ailleurs dans ses Mémoires (II, 246) : « Je le traitai comme un frère, je lui en donnai le nom… ».

Ses lettres à Roland, à Madame Roland, à Bosc, qu’on trouvera éparses aux ms. 6238-6243 et 9532-9534, sans parler de celles que nous avons pu lire dans la collection Alf. Morrison, nous font assister à la vie d’étudiant. Un extrait suffira pour en donner une idée : « L’anatomie m’occupe du matin au soir. Si je n’apprends pas, ce n’est pas faute d’être sur les bancs, je vous assure ; je m’y trouve assez bien. Quand le docteur m’ennuie, je pense à autre chose. Je suis seul au milieu de ce monde et, quand je reviens du dedans de moi-même, j’écoute encore un peu… Le temps passe, c’est beaucoup…. Addio, sorella » (à Mme  Roland, 19 janvier 1782). Roland, qui habitait à côté de Lanthenas dans ses fréquents voyages à Paris, écrivait de même : « Le compagnon est dans les cadavres jusqu’au cou. Son humeur n’en est pas égayée. Je crois qu’il surmontera difficilement les dégoûts de cet état » (7 janvier 1782, ms. 6240, fol. 127). Et, un autre jour (ibid. 98) : « Il est dix heures du soir, le dimanche, après souper. M. Lanthenas auprès du feu, rêvant… ». Un trait peindra cette vie commune des deux amis : « En arrivant à l’hôtel, écrit Roland à sa femme (7 février 1782), j’y ai trouvé le chanoine, ton oncle [l’abbé Bimont]. Nous avons, en trio, dans ma chambre, fait un souper, de raisiné, sans nappe ni serviettes, sur le bout du banc… ».

Lanthenas nous apparaît dès lors tel qu’il sera toute sa vie, mélancolique, rêveur, d’activité très intermittente, et irrésolu.

Les Roland l’avaient déjà lié avec Bosc, qui le mit en relations avec quelques savants. Avec lui, il court Paris, il fait les commissions de ses amis d’Amiens, il voit « le bon M. Parraud », traducteur et disciple de Swedenborg, et il incline de plus en plus à un mysticisme philosophique, si ces termes peuvent aller ensemble, qui n’est qu’une transformation des idées religieuses dans lesquelles il avait été nourri. Il croit à Mesmer, tout en suivant, pour le contrôler, le cours d’électricité du physicien J.-B. Leroy ; mais c’est à Mesmer que vont ses préférences, et il songe sérieusement, au moment de s’établir médecin, à acheter « la doctrine », c’est-à-dire le secret du thaumaturge, pour vingt-cinq louis (c’était le prix en 1784).

Il fallait cependant se faire recevoir docteur. À Paris, c’était difficile, car il manquait des inscriptions à Lanthenas, qui n’avait commencé ses études qu’en 1780 et n’avait été reçu maître ès arts qu’en avril 1784 (voir lettre 124). Mais les Facultés de province étaient là-dessus de meilleure composition. Lanthenas hésita entre Montpellier et Reims : finalement, il se décida pour Reims, après s’être préparé assez singulièrement à l’épreuve finale en faisant