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Cela était net. Mais il semble qu’Holker, si jaloux de ses procédés, n’en était pas moins curieux de pénétrer ceux des autres, abusant pour cela de sa qualité d’inspecteur, et rencontrait alors des résistances provenant précisément de ce que, derrière l’inspecteur, on redoutait le fabricant rival. Citons à ce sujet, sans prendre d’ailleurs parti dans la querelle, et uniquement à titre d’anecdotes significatives, un long passage de la brochure de Roland :

L’inspecteur d’Amiens [Roland], témoin de la prodigieuse quantité d’étoffes d’Angleterre qui s’introduisaient en contrebande dans son département, et voyant que l’apprêt anglais contribuait pour beaucoup à la préférence qu’on leur donnait, sollicita l’Administration, pendant trois années consécutives, d’envoyer quelqu’un en Angleterre pour y découvrir ses apprêts. M. H. y lit deux voyages pour cet objet, peut-être aussi pour d’autres ; il vint à Amiens en 1773, fit monter des presses, un petit fourneau à chauffer de très petites plaques, dépensa mille écus, et manda à l’Administration qu’il avait établi les apprêts anglais à Amiens. Cependant on n’y apprêta jamais à l’anglaise une seule pièce d’étoffe jusqu’à l’arrivée du sieur Price, apprêteur de Londres, qui démolit le fourneau, fit venir des plaques toutes différentes, pava l’atelier de celles de M. H., établit le grillage à la plaque inconnu avant lui, et y fit les apprêts anglais, dont on n’avait pas d’idée sur les étoffes de France. Avec toute son industrie et l’envie, je dirai même le besoin d’user d’économie, il ne put tirer parti de rien de ce qu’il trouva établi.

M. H., qui n’avait po voir les apprêts en Angleterre, qui n’avait pas d’idée de la plaque à griller les étoffes, qui n’avait offert à Amiens que la pratique de les flamber à l’esprit de vin, avouant qu’il n’en connaissait point d’autre, apprit aussitôt le renversement de sa dispendieuse parade ; curieux de ce qu’on y avait substitué, il revint à Amiens ; mais le sieur Price lui refusa la vue de cette opération, dont M. H., contrit et humilié, était loin alors de se dire l’inventeur. Le refus du sieur Price était fondé sur la persuasion qu’un inspecteur fabricant cherche à voir pour son profit et non pour celui du public.

Le même raisonnement fut fait peu de temps après par le sieur Warnier, entrepreneur de la manufacture de vitriol de mars [sulfate de fer], établie à Goincourt, près de Beauvais, et que MM. H. et D.L.P. allèrent visiter ensemble. Le gènéral, muni d’ordres pour entrer, y introduisit le provincial, auquel l’entrepreneur dit : « M. H. s’est déjà présenté ici ; il a fait l’impossible pour y entrer de jour ou de nuit par la voie des ouvriers qu’il a cherché à gagner ; il n’a pu eu venir à bout ; il s’est fait donner un ordre ; j’ai besoin de la protection du Conseil, et je n’ose rien dire. Pour vous, Monsieur, qui n’avez point d’entreprise, volontiers je vous aurais tout fait voir. »

On conçoit dès lors quelles durent être l’inquiétude et l’irritation de Holker, lorsqu’il apprit, au commencement de 1776, que Roland se proposait de publier « l’Art du fabricant de velours de coton », et ce, avec l’approbation et les encouragements de Trudaine de Montigny. Mais ici, laissons parler Roland ; c’est une vraie page de Mémoires :

M. Trudaine…, en mai[1] 1776, dit à l’auteur [Roland], qui lui remettait le manuscrit de son Art : « Sans doute vous avez visité la manufacture de Sens ? — Non, Monsieur, elle est fermée

  1. Nous croyons qu’il y a là une faute d’impression et qu’il faut lire mars. Cela ressort de ce qui suit.