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fabrique des étoffes de toute espèce, ayant embrassé le parti du Prétendant [Charles-Édouard], avait été pris à la bataille de Culloden avec un de ses amis ; il s’attendait à périr du dernier supplice… Cependant M. Holker trouva moyen de percer le mur de la prison où il était enfermé avec M. March, son ami. M. March descendit le premier ; mais le passage était trop étroit pour son ami ; il rentra dans la prison pour préparer de nouveau leur évasion commune… Arrivés en France, tous deux entrèrent au service ; mais M. Holker vit bientôt que, si le zèle pour son prince avait fait de lui un soldat, la nature l’avait formé pour d’autres occupations ; il fit proposer à M. Trudaine de l’employer à établir en France quelques branches d’industrie que l’Angleterre possédait seule ; à en perfectionner d’autres où la France avait une infériorité qui l’excluait de la concurrence… M. Holker ne savait pas le français et M. Trudaine ignorait la langue anglaise ; il chargea M. de Montigny d’examiner ces projets dont il sentait toute l’utilité et toute l’importance. Nous n’entrerons point ici dans le détail de tous les travaux que M. de Montigny fut obligé de faire et pour s’instruire des vues de M. Holker et pour en suivre l’exécution lorsqu’elles furent adoptées, nous nous bornerons à dire qu’on doit à leurs travaux réunis nos manufactures de draps et de velours de coton ; l’usage des cylindres pour calendrer les étoffes ; une meilleure méthode de leur donner l’apprêt auquel elles doivent leur lustre ; la perfection actuelle de nos quincailleries et de nos fabriques de gaze, enfin, l’établissement des machines à carder et à filer les cotons et les laines… »

Une brochure de 1781, dirigée contre Roland et inspirée par Holker[1], précise et complète sur quelques points ces indications :

« Ce fut en 1745 qu’il [Holker] prit les armes pour le prince de Galles, à son passage à Manchester, où il avait levé un régiment. Il fut pris au siège de Carlisle, mis aux fers et conduit à Londres pour y être jugé et exécuté. Il trouva le moyen de s’évader et de passer à Paris, auprès du prince, qui le nomma capitaine dans le régiment d’Ogilvy, de sa création. Après le siège de Maestricht [1748], il passa en Picardie et se rendit en octobre 1749 à Rouen, où il fit connaissance avec plusieurs négociants. M. Morel, inspecteur des manufactures, l’accompagna dans les diverses fabriques et le condsisit aussi fort souvent chez M. d’Haristoy. Celui-ci, persuadé des avantages des nouveaux ateliers qu’il se proposait d’établir, engagea cet inspecteur d’en écrire l’administration. D’après ses lettres à M. Trudaine et à M. de Machault, alors contrôleur général, il reçut ordre d’engager M. Holker à se rendre à Paris. En mars 1750, il fut présenté par milord Ogilvy, son colonel, à M. Trudaine, auquel il remit quelques échantillons de velours de coton et un mémoire en anglais, qui fut traduit par M. de Montigny, de l’Académie des Sciences. M. Trudaine le chargea donc de l’exécution de tout ce qu’il proposait, et de passer en Angleterre pour en ramener les divers ouvriers nécessaires à ces projets. Fermant alors les yeux sur les périls de sa mission, il se rendit en Angleterre, où sa tête était à prix. Il en revint et fut suivi par les ouvriers dont il avait besoin… »

  1. Lettre d’un citoyen de Villefranche à M. Roland de La Platière, académicien de Villefranche, etc., brochure de 46 pages. Bibl. de Lyon, fonds Coste, n° 353440.

    Il semble, d’après une lettre de Roland du 1er février 1782, citée plus loin, que l’auteur de ce pamphlet ait été Brown, inspecteur de manufactures à Caen.