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est venu t’amener un monsieur, de Lille, avec lequel il voulait te faire faire connaissance, ou, pour dire comme lui, auquel il souhaitait procurer la tienne. C’est un gendre de M. Houzey[1], qui paraît avoir du goût et quelques connaissances : il a passé six mois en Italie ; il a vu avec enthousiasme tableaux, statues, ruines, médailles ; il s’est trouvé en pays de connaissance au milieu de ton cabinet ; les Piranèse, les autres gravures, les soufres, etc., lui paraissent familiers ; on a demandé à voir tes laves, tes marbres ; j’ai conduit, j’ai montré ; tous les objets d’histoire naturelle ont intéressé ; ce personnage, honnête et doux, dit être lié avec M. Romey de Lille[2] ; il venait de voir M. L’Apostole qui lui avait promis une petite collection de tourbes ; de celles que tu fournis, peut-être ; j’en ai dît quelque chose. Enfin on a été très fâché de ne pas te rencontrer : partie remise pour un autre voyage ; M. Renard a dit beaucoup de choses de toi, très bonnes et bien vues : tu me parais placé convenablement dans son estime.

Je vais laisser mon paquet ouvert jusqu’à demain à l’heure du courrier : peut-être aurai-je à te dire des nouvelles.

Dors en paix ; ta cave va bien, ta maison n’est pas brûlée, et tu sais bien que ta femme, sans avoir sa barque pleine, ne prend pas de passagers[3]. Mes filles vont leur train : ce n’est pas sans peine ; la petite Marie[4], avec son air doucet, n’a pas grand jugement et ne vaut

  1. Houzé, receveur des tailles de l’Élection et commis à la Recette générale des finances, membre de l’Académie d’Amiens (Alm. de Picardie, 1781).
  2. Romé de l’Isle (1736-1790). Les Roland avaient déjà entendu parler de ce savant minéralogiste par leur ami Bosc, son élève. En 1784, Bosc conduira chez lui Madame Roland (voir lettre du 14 mai 1784). — Au n° ccxx du Patriote français (16 mars 1790) on trouve, sur Romé de l’Isle, mort le 7 mars, un article très ému, qui pourrait bien être de Bosc.
  3. Cette allusion à la trop célèbre Julie, fille d’Auguste et femme d’Agrippa, prouve que Madame Roland lisait ou se faisait citer Brantôme. « Lui estant demandé une fois si elle n’avoit point de crainte d’engroisser de ses amys, et que son mary s’en apreceust et ne s’affolast, elle répondit : « J’y mets ordre, car je ne reçois jamais personne ny passager dans mon navire, si-non quand il est chargé et plein. » (Vie des Dames galantes, discours I.)
  4. C’est probablement déjà Marie-Marguerite Fleury, qui était encore au service des Roland en 1793. — Voir sur elle Appendice T.