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ANNÉE 1781
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[À ROLAND, EN TOURNÉE[1].]
25 juillet 1781. — d’Amiens.

Tu mériterais bien d’être embrassé de bon cœur pour m’avoir donné si promptement de tes nouvelles ; mais le moyen pour une femme grosse d’embrasser un homme à cheval ? Il ne lui reste plus qu’à rêver qu’elle est mieux à son aise, et questo l’ho fatto io. Ton petit en a tressailli cinq à six fois, à me donner des coups de poing ; c’est un effronté lutin comme son père.

Tu sauras qu’il est aujourd’hui mercredi ; je me souviens parfaitement ne devoir envoyer une lettre que demain : mais j’ai grande envie de causer avec toi ; j’ai pourtant songé qu’en ne satisfaisant point cette envie, le poupon en serait peut-être marqué, et qu’alors nous aurions le plaisir de voir la couleur d’une envie de cette espèce. Comme ma curiosité n’est pas extrême, j’abandonne la connaissance de cette singularité et je vais mon train. Pour te rendre un compte fidèle de ma conduite, je te dirai que dimanche a été entièrement consacré à mon ménage et à mon herbier : c’est assez en dire et tu me vois déjà remuer tour à tour des chemises et des fleurs, des haricots et des chaussettes. J’ai reçu une longue et pressante invitation des grands parents d’aller le lendemain manger de la tarte en l’honneur de Ste  Madeleine, patronne de Mlle  Decourt, puis de souper, etc… J’ai accepté pour une partie, et le lundi après avoir gentiment travaillé le matin, j’ai dit un bonjour à M. d’Eu, j’ai fait une visite à Mme  de Bray[2] et je me suis rendue chez les mères. Il y avait grand monde, les Cannet et mille autres ; j’ai fait ma partie pour la tarte et la causerie, puis, laissant jouer les amateurs, je suis rentrée sans rémission à sept heures et demie. On m’a obligeamment grondée, mais, avec tout, il m’a bien

  1. Ms. 6238. fol. 143-145
  2. Marie-Louise Decourt, femme de l’avocat du roi. M. de Bray de Flesselles, — Voir Appendice E.