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lorsqu’il les eut fournis, et ne pas lui refuser d’abord justice pour se réserver de l’accuser quand on l’aurait noirci dans le public. Robespierre, je vous défie de ne pas croire que Roland soit un honnête homme : vous pouvez penser qu’il ne voyait pas bien sur telle et telle mesure ; mais votre conscience rend secrètement hommage à sa probité comme à son civisme. Il faut peu le voir pour le bien connaître ; son livre est toujours ouvert et chacun peut y lire ; il a la rudesse de la vertu, comme Caton en avait l’âpreté ; ses formes lui ont fait autant d’ennemis que sa rigoureuse équité ; mais ces inégalités de surface disparaissent à distance, et les grandes qualités de l’homme public demeureront pour toujours. On a répandu qu’il soufflait la guerre civile à Lyon ; on a osé donner ce prétexte comme sujet de mon arrestation ! Et la supposition n’était pas plus juste que la conséquence. Dégoûté des affaires, irrité de la persécution, ennuyé du monde, fatigué de travaux et d’années, il ne pouvait que gémir dans une retraite ignorée et s’y obscurcir en silence pour épargner un crime à son siècle.

— Il a corrompu l’esprit public, et je suis sa complice ! — Voilà le plus curieux des reproches et la plus absurde des imputations. Vous ne voulez pas, Robespierre, que je prenne ici le soin de les réfuter ; c’est une gloire trop facile, et vous ne pouvez être du nombre des bonnes gens qui croient une chose parce qu’elle est écrite et qu’on la leur a répétée. Ma prétendue complicité serait plaisante, si le tout ne devenait atroce par le jour nébuleux sous lequel on l’a présenté au peuple, qui, n’y voyant rien, s’y fabrique un je ne sais quoi de monstrueux. Il fallait avoir une grande passion de me nuire pour m’enchaîner ainsi d’une manière brutale et réfléchie dans une accusation qui ressemble à celle, tant répétée sous Tibère, de lèse-majesté pour perdre quiconque n’avait pas de crime et qu’on voulait pourtant immoler !

D’où vient donc cette animosité ? — C’est ce que je ne puis concevoir, moi qui n’ai jamais fait de mal à personne, et qui ne sais pas même en vouloir à ceux qui m’en font.

Élevée dans la retraite, nourrie d’études sérieuses qui ont développé chez moi quelque caractère, livrée à des goûts simples qu’aucune circonstance n’a pu altérer, enthousiaste de la Révolution et m’abandonnant à l’énergie des sentiments généreux qu’elle inspire, étrangère aux affaires par principes comme

    du 13, les débats commencent le 14, sa condamnation est du 15 et l’exécution du 16. On va voir d’ailleurs que la lettre ne fut pas envoyée.