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À JANY, À PARIS[1].
8 octobre [1793, — de Sainte-Pélagie].

Lorsque vous ouvrirez cet écrit[2], cher Jany, je ne serai plus. Vous y verrez les raisons qui me déterminent, en trompant mes gardiens, à me laisser mourir de faim. Cependant, comme aucun transport ne m’inspire cette résolution, que je veux soumettre à tous les calculs, soit pour ne manquer à aucun de mes devoirs, soit pour ne pas mériter le blâme de nos amis, je consens à attendre le jugement des députés[3] pour juger alors des conséquences et de l’instant d’exécuter mon projet.

S’il se passe quelques jours, je continuerai mes Mémoires ; si je n’ai pas le temps de les conduire bien loin, je m’en consolerai. Il existe assez de choses, en réunissant toutes celles que j’ai écrites et qui sont dans les trois dépôts[4] pour éclaircir beaucoup de fûts et concourir à la justification de bien des personnes. Voilà le soin que je vous laisse ; il vous exprime assez toute mon estime. Disposez de ces objets en maître absolu, ne précipitez rien pour ne rien

  1. Publiée pour la première fois par Barrière, II, 251 ; réimprimée par Faugère, II, 268.
  2. « Cet écrit » désigne évidemment, comme l’a déjà remarqué M. Barrière, Mes dernières pensées, ces dernières pages si éloquentes des Mémoires (II, 255-264). Mais nous croyons probable (voir notre Étude critique sur les manuscrits de Madame Roland) que le pli fermé le 8 octobre à l’adresse de Mentelle, en prévision du suicide dont nous venons de parler, et qui ne devait lui parvenir qu’après le suicide accompli, renfermait, outre la présente lettre et les Dernières pensées, les deux lettres précédentes, ainsi que trois cahiers des Mémoires particuliers, correspondante aux pages 220-254 du t. II de l’édition Faugère.
  3. Des quarante et un députés décrétés d’accusation le 3 octobre, sur le rapport d’Amar.
  4. Voir notre Étude critique sur les manuscrits, etc., au sujet des dépôts où des amis courageux conservait les cahiers que Madame Roland leur faisait passer de sa prison. Nous connaissons celui de Bosc, dans l’ermitage de Sainte-Radegonde, au-dessus de la poutre de la grande porte ; celui de Mentelle, dans son logement du Louvre, au-dessus de la salle où siégeait « l’exécrable Commission populaire » (lettre de Mentelle à Champagneux, ms. 6241, fol. 156-157) ; celui de Mme Grandchamp (voir plus loin, lettre du 25 octobre). Peut-être y en avait-il d’autres. Miss Helena Williams, dans ses Lettres sur les événements du 31 mai au 9 thermidor (p. 155-162), dit en avoir eu un chez elle et l’avoir détruit par prudence.