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près de moi la plus grande partie des jours ; j’en travaille bien moins, mais je suis utile, et ce sentiment me fait goûter une sorte de charme que les tyrans ne connaissent pas. Je sais que B…[1] va être immolé ; je trouve plus atroce que cela même la disposition qui interdit tout discours aux accusés[2]. Tant qu’on pouvait parler, je me suis senti de la vocation pour la guillotine ; maintenant il n’y a plus de choix, et massacrée ici ou jugée là, c’est la même chose.

Je désirerais qu’il vous fût possible d’aller régulièrement, du moins une fois la semaine, chez Mme G. Chp.[3]. Elle vous communiquerait ou vous remettrait ce qui nous intéresse, et vous lui donneriez de mes nouvelles. Vous trouverez chez elle à emprunter les deux volumes du Voyage en question, que je n’ai point ici en mon pouvoir.

Je reçois avec action de grâce les lettres de lady B…[4] ; je ne les connais point, je compte les faire servir à deux personnes ; je ferai lire le petit P…[5], je n’avais que Thompson qu’il ne pouvait encore entendre.

Hélas ! n’enviez point le sort de celui à qui j’ai donné mon Voyage de Suisse[6] c’est un infortuné qui n’a que des malheurs pour prix de ses vertus ; persécuté,

  1. Brissot
  2. Voir P.V.C, XXI p. 248, séance du 26 septembre. Faure (de la Haute-Loire) avait proposé, pour accélérer l’action du tribunal révolutionnaire, diverses dispositions, dont la principale portait que, après les débats, « il ne serait fait aucun discours de défense générale de la part du défenseur ». — Cf. Mém., I, 197-198 : « 26 septembre. Le décret qui ordonne de présenter le lendemain l’acte d’accusation de Brissot est rendu dans la même séance où l’on propose d’abréger les formes des jugements du tribunal révolutionnaire, etc. ».
  3. On a cru jusqu’ici que ces lettres désignaient Mme Champagneux ; c’est une erreur, Mme Champagneux, qui était à Bourgoin au moment de l’arrestation de son mari, en août, était accourue aussitôt à Paris, mais pour y tomber malade, d’une maladie « qui la tint trois mois aux portes du tombeau » (Papiers Roland, no 6241, fol. 165). Elle n’aurait donc guère été en état, fin septembre, de recevoir Jany, et c’est en d’autres termes du moins que Madame Roland aurait demandé de ses nouvelles. Une raison plus décisive encore, c’est que l’initale G. ne saurait, en aucune manière, correspondre aux prénoms d’Ursule-Adélaïde Brottin, femme de Luc-Antoine-Donin de Rosière de Champagneux. « Mme G. Chp. » n’est autre que Sophie Grandchamp, ainsi que nous l’avons surabondamment établi ailleurs.
  4. Probablement le roman anglais de Miss Élisabeth Griffith, intitulé Histoire de lady Barton, en forme de Lettres, 1771, 3 vol. in-12 -Biogr. Michaud, v° Griffith).
  5. Le fils de Petion, alors âgé de onze ans, qui partageait la prison de sa mère.
  6. Buzot. — Voir, sur ce détail, notre Appendice R.