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P. S. Le décret contre les gens suspects n’était pas encore rendu lorsque je fis cette lettre[1] ; dès qu’il parut, je vis qu’ayant été arrêtée la seconde fois sous cette dénomination de suspecte, je n’avais plus que du pis à attendre du temps.


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TO M. JANY, À PARIS[2].
Samedi [28 septembre 1793, — de Sainte-Pélagie].

Je ne puis vous dire, cher Jany[3], avec quel plaisir je reçois de vos nouvelles. Placée sur les confins du monde, les témoignages d’attachement d’un individu de mon espèce que je puisse estimer me font trouver encore quelque douceur à vivre. J’ai souffert pour ma pauvre compagne au delà de toute expression. C’est moi qui me suis chargée du triste office de la préparer au coup qu’elle n’attendait guère et de le lui annoncer ; j’étais sûre d’y apporter les adoucissements qu’un autre eût peut-être difficilement trouvés, parce qu’il n’y a guère que ma position qui pût me faire partager aussi bien sa douleur. Cette circonstance a fait qu’on l’envoie chez moi ; nous mangeons ensemble, et elle aime à passer

  1. La Loi suspects est précisément du 17 septembre.

    Le post-scriptum a été évidemment ajouté à la minute ou à la copie, après l’envoi de lettre.

  2. Publiée pour la première fois par Barrière (II, 247) ; réimprimée par Dauban, Étude, p. ccxxv, et par Faugère, II, 265. — Il y en a une copie au ms. 9533, fol. 226-227. Faugère a bien vu que ce « samedi » doit être le 28 septembre 1793. Cette « pauvre compagne » que Madame Roland a dû préparer à un coup cruel, c’est Mme  Petion, dont la mère, Mme  Lefebvre, venait d’être condamnée et exécutée le 24 septembre (Wallon, Tribun. révol., II, 191, 479). On connaît la page indignée des Mémoires (I, 188) où Madame Roland, à cette date même du 24 septembre, enregistre cette condamnation. Nous disons 24 septembre, bien que ce passage des Mémoires, dans l’édition de Bosc, soit daté du 23 septembre, et que M. Dauban (p. 385) ait reproduit cette petite erreur. Mais il y a bien 24 septembre au manuscrit, et l’édition Faugère est ici, comme d’ordinaire, la plus exacte. D’ailleurs, comment Madame Roland aurait-elle pu mentionner le 23 une condamnation qui n’est que du 24 ?
  3. Nous croyons avoir établi dans notre travail sur « Jany, le dernier correspondant de Madame Roland » (Révolution française des 14 janvier et 14 février 1896) que Jany n’est autre que le géographe et historien Edme Mentelle, ami de Brissot. — Voir, sur lui, notre Appendice S.