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Vertueuse citoyenne.

Depuis l’instant de votre arrestation ; je n’ai cessé de m’intriguer pour tâcher de trouver le moyen de vous faire parvenir les consolations que tous vos amis voudraient vous offrir ; mais les tigres qui vous persécutent ont mis tant d’obstacles, qu’il ne nous a été permis que de gémir avec vous des rigueurs de votre sort. J’ai gardé plusieurs jours trois lettres que Bar[baroux] et Bu[zot] m’avaient adressées pour vous, sans qu’il m’ait été possible de vous les faire parvenir ; et ce qu’il y a de plus fâcheux, c’est qu’au moment où je pourrais le faire, en profitant de la voie que vous me fournissez, la chose est devenue impossible, attendu qu’elles se trouvent entre les mains de Petion à qui j’avais cru devoir les remettre, le croyant mieux à même que tout autre de vous les faire passer, et qui est parti sans avoir pu y réussir. J’en aviserai dès aujourd’hui ces citoyens en leur apprenant à qui j’écris par une voie sûre, et les préviendrai des moyens que j’ai maintenant de pouvoir mieux remplir leur commission. En attendant que vous en receviez des nouvelles directes, je ne dois pas vous laisser ignorer toute leur sollicitude pour vous. Je ne reçois aucune lettre de leur part, sans que vous n’y soyez pour quelque chose ; ils semblent plus occupés, je vous assure, des rigueurs que vous éprouvez que de toutes celles qu’ils éprouvent eux-mêmes. Quant à moi, vertueuse citoyenne, mon âme se déchire quand je me représente toutes les épreuves par lesquelles vos lâches persécuteurs vous font passer, d’autant plus qu’avec toute la bonne volonté possible, il n’est aucun moyen à pouvoir prendre, quant à présent, contre cette affreuse tyrannie. Mais rassurez-vous, leur règne va bientôt finir, la nation entière va se lever pour écraser cette horde de scélérats et va vous dédommager généreusement de tous les maux que vous souffrez pour elle. Je vois déjà les couronnes civiques qui s’apprêtent pour vous et votre respectable époux ; et rempli de cette agréable idée, m’en reposant sur votre constance sur des maux passagers qui ne sauraient abattre votre âme courageuse, je me plais à vous croire mille fois plus heureuse dans votre honorable prison que ne le sont sur leur siège de sang et de crimes les tyrans qui vous y détiennent. Les trois quarts au moins des départements se sont déjà prononcés de la manière la plus forte de toutes parts pour renverser le trône de l’anarchie ; les plus grandes mesures se prennent entre eux pour opérer cette heureuse révolution qui, j’espère, va être la dernière de toutes. Vingt-deux de nos collègues proscrits, et dans ce moment peut-être plus, sont réunis à Caen, et ils travaillent nuit et jour pour éclairer l’opinion publique et faire réussir un vaste plan. J’en reçois fréquemment des nouvelles qui sont de jour à autre toujours plus satisfaisantes. Malgré les efforts des conspirateurs, qui jouent dans ce moment de leur reste pour tâcher d’esquiver le coup, j’aurai soin, quand l’occasion s’en présentera, de vous informer des nouvelles intéressantes qui viendront à ma connaissance. Je dois cependant vous prévenir, afin de calmer votre juste impatience, que les mouvements des départements ne seront pas aussi prompts que nous le désirerions tous. Les maux de la patrie sont si grands et si compliqués, qu’il faut nécessairement user de toute la sagesse et de la prudence possibles dans les remèdes à y apporter, puisque la moindre imprévoyance risquerait de tout perdre. D’après les données que je puis avoir, je ne compte guère qu’on frappe les grands coups que sur la fin du mois que nous allons commencer. En attendant, je sens bien que nos ennemis peu-