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que c’est seulement bien audacieux, que les personnes qui, les premières, ont craint, dénoncé, poursuivi une faction d’Orléans, soient présentées comme l’ayant formée elles-mêmes.

Le temps éclairera sans doute ces mystères d’iniquité ; mais en attendant sa justice, qui peut être lente au milieu d’une si effroyable corruption, la vôtre me parait obligée à publier, en même temps que les questions d’un interrogatoire, propres à semer des soupçons, les réponses qui doivent y avoir été faites, et pouvoir servir à les faire apprécier[1].

Cette justice est d’autant plus rigoureuse que la calomnie et la persécution s’attachent aux pas des personnes nommées dans ces questions ; qu’elles sont, pour la plupart, dans les liens d’un décret arraché par l’audace et la prévention à la faiblesse et à l’erreur. Je suis moi-même détenue depuis huit jours, en vertu d’un mandat qui ne porte aucun motif d’arrestation[2] ; je n’ai pas été interrogée ; je n’ai pu faire entendre mes plaintes à la Convention ; et lorsqu’on est parvenu à lui annoncer qu’elles avaient été soustraites, on la fait passer à l’ordre du jour, sous prétexte que cela ne la regardait point[3]. Quoi donc ! des autorités nouvelles agissent arbitrairement, les autorités constituées se taisent devant elles, et les injustices qu’elles commettent ne doivent pas être représentées à la Convention ! Ce n’est point au Corps législatif qu’il faut adresser ses réclamations, lorsqu’il ne reste plus que lui à qui les faire ! Et l’on s’intéresse aux détenus par ordre du tribunal de Marseille[4], et moi, détenue ici par un Comité révolutionnaire, je n’ai plus de droits ! — Et la Commune fait répéter dans les journaux que les prisons de Paris ne renferment que des assassins, des voleurs et des contre-révolutionnaires ! — Citoyen ! je vous ai connu, je

  1. Dulaure a écrit en note : « La citoyenne Roland aurait dû penser qu’il ne m’était pas permis de rien changer à l’interrogatoire de Philippe d’Orléans, quelque absurde, quelque incohérent qu’il me paraisse. »
  2. Ici Dulaure a écrit en marge, puis biffé, huit ou dix lignes racontant l’arrestation de Madame Roland ; c’est presque mot pour mot ce qu’elle écrivait dans ses Mémoires à ce moment-là (I, 23) ; il est donc probable qu’elle lui avait fait passer une note.
  3. Voir Moniteur du 8 juin, séance du 7 : « Duperret : « Il y a plusieurs jours que le ministre de l’Intérieur a fait passer à la Convention les réclamations d’une citoyenne enlevée de vive force de son asile et transférée dans les prisons de l’Abbaye. Mais la lettre n’a pas été lue. Cette personne est la citoyenne Roland (On murmure) ». – On observe que cet objet n’est pas du ressort de la Convention. — L’Assemblée passe à l’ordre du jour. »
  4. Ibid. Collot-d’Herbois, Thuriot, Legendre avaient protesté contre les arrestations arbitraires faites à Marseille.