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et que rien encore n’a pu y faire lire. Si votre courage y peut quelque chose, je la lui recommande ; si vous connaissiez quelques moyens de la faire publier, veuillez les employer.

Je ne suis toujours point interrogée, j’ignore jusqu’à quand je dois être retenue dans ces lieux qui furent le théâtre de scènes d’horreur.

Certes, avec l’innocence et la vérité, j’y suis plus libre et moins à plaindre que les bourreaux dominateurs, et ma fermeté ne s’étonne de rien ; j’ai un enfant, une famille éplorée, je ne dois rien négliger pour leur être rendue. Quoi que vous fassiez, recevez les assurances de mon estime.


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AU MINISTRE DE LA JUSTICE[1].
8 juin 1793, — de la prison de l’Abbaye.

Je suis opprimée, j’ai donc sujet de vous rappeler mes droits et vos devoirs[2].

Un ordre arbitraire, sans motifs d’arrestation, m’a plongée dans ces lieux préparés pour les coupables ; je les habite depuis huit jours sans avoir été interrogé.

Les décrets vous sont connus ; l’un vous charge de visiter les prisons[3], d’en

    1793), député des Bouches-des-Rhône à la Législative, puis à la Convention, un des adversaires les plus résolus de la Montagne, mais des plus imprudents. C’est avec lui que Barbaroux, en juin 1793, aussitôt qu’il eut quitté Paris pour Évreux et Caen, entama une correspondance que de Perret ne sut pas détruire ; c’est à lui qu’en juillet il adressa Charlotte Corday. Mais, dès le 12 juillet, pendant que de Perret conduisait Mlle Corday au ministère de l’Intérieur, les scellés étaient mis sur ses papiers, en raison des soupçons qu’on avait de sa correspondance avec les députés fugitifs. C’est là qu’on trouva, non seulement les lettres de Barbaroux, mais aussi celles de Madame Roland, qui permirent de la condamner.


    De Perret fut décrété d’accusation le 15 juillet, le surlendemain de l’assassinat de Marat, et incarcéré à l’Abbaye. Compris de nouveau dans le décret d’accusation du 3 octobre, transféré à la Conciergerie le 6, il fut conduit à l’échafaud le 31, avec les Vingt et un.

  1. Bosc, I, 29 ; Faugère, I, 44. — Ms. des Mémoires, Bibl. nat., 13736, fol. 28. — Le ministre de la Justice était alors Gohier, depuis le 20 mars 1793.
  2. Faugère a imprimé « mes devoirs ». C’est un lapsus évident.
  3. Décret du 23 novembre 1792 (Duvergier, V, 68) et Moniteur du 25. Nous n’avons pas trouvé de décret de date plus récente.