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[À LANTHENAS, À PARIS[1].]
[Décembre ? 1792, — de Paris.]

…J’ai trop de courage pour avoir besoin d’en montrer, j’estime trop peu la vie pour me soucier de la conserver ou de la perdre ; il y a même plus, je la trouve si laborieuse pour les gens de bien, que je ne serais pas fâchée d’en voir abréger le terme, et j’aurais peut-être une sorte de volupté à le voir approcher. Je connais assez les hommes pour ne rien attendre de leur justice ; je n’en ai que faire ; ma conscience me tient lieu de tout… Assurément, la fin de la Révolution n’est pas bien claire, et ce qu’on appelle des partis seront bien jugés par la postérité ; mais j’ai la persuasion que mon mari y trouvera sa gloire, et le pressentiment quelle sera payée de notre vie. Peut-être faut-il des victimes pures pour appeler le règne de la justice. Pourtant je ne m’éloignerai jamais de mon mari, je partagerai sa destinée et je mourrai comme j’ai vécu, ne pouvant trouver de bonheur que dans mes devoirs, quoiqu’ils me coûtent souvent à remplir[2], et retournant avec délices à la nature qui, dans nos tristes sociétés, semble n’avoir plus d’asile que le tombeau…

  1. L. aut. à Lanthenas, 3 pages 1/2 in-8o, n° 453 de la vente du 22 novembre 1852, J. Charavay, expert. — Le catalogue ne donne évidemment qu’un fragment de la lettre. Nous le reproduisons tel quel.
  2. Madame Roland exprime ici ce qu’elle redira avec plus de développement dans ses lettres à Buzot, de juin à juillet 1793, et dans ses Mémoires, notamment t. II, p. 244.