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ANNÉE 1781.

pressée de te rejoindre ; viens donc, sitôt que tu le jugeras convenable ; arrange-toi seulement pour t’arrêter ici quelques jours de plus ; de cette manière, tu nous contenteras tous.

Je puis difficilement déterminer une préférence pour les voitures, parce que je ne connais pas les chaises de la Messagerie, qui vont en deux jours, et que j’ignore si elles sont plus douces que la poste qui, d’un autre côté, va bien plus vite ; j’en ai parlé à ces demoiselles, qui aimeraient mieux la poste, en supposant le choix d’une chaise douce ; elle me plairait aussi, parce qu’elle laisse plus de temps ; ainsi tu la prendras, à moins que tu ne juges différemment des voitures de la Messagerie dont tu peux t’informer ; tu trouveras ici une place pour la chaise de poste, si tu viens par cette voie ; ne serait-ce pas quelqu’une de tes connaissances qui te prêterait une chaise ? je l’imagine au moins, et le contraire me paraîtrait bien dispendieux.

Tu as raison, mon bon ami, de tout ce que tu me dis de Mlle Maleuvre[1] ; mais, en supposant que mon malaise et ma paresse se soient autorisés des observations de nos amies sur certains jours où elles ont pensé que ma visite dérangerait cette respectable fille, que j’étais résolue d’aller voir, crois-tu que je ne m’en sois pas déjà repentie et que le reproche de mon cœur ne soit pas suffisant ? Le tien m’a vivement touchée ; mais je t’avais prévenu. Au reste, je pense que cette honnête personne n’a rien trouvé chez moi qui ne lui retraçât ton estime et tes égards ; va, lorsqu’elle n’y aurait pas des droits particuliers, le titre d’infortunée suffirait pour obtenir les miens.

Il n’y a pas eu un beau jour depuis que je suis dans cette ville ; souvent les pluies étaient très fortes et les ouragans violents ; je n’ai été qu’une fois un peu loin : c’est-à-dire, sur le pont, à la Bourse et

  1. Il semble que Mlle Maleuvre fût une parente pauvre des demoiselles Malortie, et probablement une couturière ; Madame Roland, dans la lettre précédente, s’excusait de ne pas l’avoir encore vue, et Roland lui écrit, le 11 février : « Je suis fâché que tu aies tant attendu pour aller chez Mlle Maleuvre… ; je la connais depuis longtemps ; elle est malheureuse : j’ai toujours eu pour elle des égards, qu’elle mérite, et que tu m’obligeras de partager… » (ms. 6240, fol. 86-87).